« Et ça cette couleur, c’est quoi ?
− C’est la rééducation du périnée, j’explique à mon étudiante pour son premier jour de stage, j’ai mis du bleu, et du marine pour les premières séances.
− Donc le vert c’est la gynécologie ?
− Oui. Enfin. En gros. Et puis il y a l’orange et le mauve pour la grossesse, du rouge et du rose pour la prépa… »
Mon agenda ressemble à un puzzle avec ses temps de séance, ses couleurs vives. C’est un être vivant à cause de la réservation en ligne, où les patientes, à loisir, peuvent prendre et modifier des rendez-vous. Il est plein en général deux semaines à l’avance, et c’est pour ça que mes courtes pauses déjeuner sont souvent vouées à un jeu pas très très marrant : quand est-ce qu’on voit cette patiente ?
Une sage-femme libérale n’a pas vraiment d’urgence, c’est ce qu’on nous dit à l’installation, quand on demande à la CPAM si on a le droit de les coter, mais disons qu’il y a des patientes qui ont besoin de nous plus vite que d’autres. Du coup il faut anticiper ces « urgences » en regardant combien de mes patientes sont en fin de grossesse.
Il y a des semaines où les créneaux que je gardais pour mes domiciles me laissent du temps en famille.
Et parfois on a l’impression que toutes mes patientes se sont données rendez-vous à la maternité pour accoucher ensemble.
J’allume mon portable le lundi matin, et je suis assailli de messages. « Bonjour Jimmy, j’ai accouché samedi est… » « Salut c’est Akim, Sophie est déclenchée demain » « Coucou, finalement je ne sors pas ce lundi car mon petit bout nous a fait une jaunisse, je vous tiens au courant ».
J’ai de la place le mardi, un peu le mercredi, mais ça ne sera pas suffisant. Dans le métro je suis déjà en train de préparer mon puzzle de ce midi. J’essaye de regarder quelle préparation à la naissance est la moins urgente.
Il y a deux patientes qui ont déjà un rendez-vous cette semaine en rééducation et le deuxième n’est peut-être pas obligatoire.
C’est patiente en gynécologie elle vient pour quoi, déjà ? Bon clairement il faudrait qu’on change son DIU. Surtout que la dernière pose était un peu plus technique que prévue…
Peu à peu les briques s’emboîtent. Ma pause déjeuner fond progressivement alors que devant mon ordinateur ma souris orchestre le chassé-croisé des bulles sur l’agenda. Je sors manger au traiteur chinois en attendant la réponse de mes derniers messages et je décale le domicile qui détruisait mon repas de vendredi de plus en plus vers le matin ou l’après-midi.
Depuis un an j’ai monté la difficulté d’un cran. Des bornes appelées « emmener », « aller chercher son enfant à la crèche » ou « relayer ma chérie avant sa nuit » se sont ajoutées en gris sur le planning comme blocs de pierre.
Je mesure aussi à chaque fois la chance que j’ai d’avoir des patientes compréhensives.
Cette semaine, j’espère réussir à sauver au moins un créneau pour aller à la piscine. On appellera ça une semi-réussite.
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