« Aide-moi ! », je dis à ma fille, qui est plutôt occupée à faufiler ses doigts aiguisés dans ma bouche, ou dans mon œil. 4 étage avec la poussette sur une épaule et la prunelle de mes yeux à descendre à pied. Je la sers fort, je la plaque sur mon buste. Elle rigole.
En bas c’est le rituel habituel : elle essaye de s’accrocher dans la poussette pendant que je tente, tant bien que mal, de lui mettre un manteau un poil trop grand. Il est tout doux ce manteaux. je regrette mon lit. Elle tire sur sa capuche en laine, je lâche le frein et nous sommes parti dans le froid d’un matin de novembre parisien.
C’est ma première journée. Je n’ai pas mangé, j’ai eu le temps d’une toilette sommaire, il me manque clairement un café. J’ai des copines qui me « moi je me lève à 5h pour avoir le temps de savourer mon thé avant que les enfants se réveillent », mais je vous déconseille fortement de me réveiller aussi tôt, pour un motif non valable, qui ne serait pas une tétine perdue ou un biberon d’eau.
Nous roulons sur les trottoirs bordés d’arbres et de voitures, pour arriver au métro.
Je m’en plaindrai peu. Mon trajet comprends peu d’escaliers et, à Paris, c’est un luxe insolent.
J’essaye de la nourrir. Un biberon, une pom’pote, un brassé en gourde jetable, quelques biscuit myrtille châtaigne. Elle est à moitié réveillée mais arrive à manger seule. Ce n’est pas trop son heure, mais à force de diversité j’arrive à ne pas la déposer à la crèche totalement à jeun.
Le métro arrive sur le quai en même temps que l’ascenseur et je me faufile entre les portes qui sonnent. Parfois quelqu’un me voit avec la poussette, ma fille lui fait un sourire de charme ; l’inconnue se laisse convaincre de me laisser une place assise.
Pas aujourd’hui.
Je hausse les épaules sur mon sac de consultation que j’ai pris en anticipant la fin de la journée. Quelques stations m’amène à Châtelet et la course dans les couloirs reprennent. L’ascenseur du métro est en panne et je prends la poussette à bout de bras. Ma fille rigole d’être portée comme une princesse.
Le RER est une autre histoire : la foule est déjà un peu massée sur le quai en attendant le train suivant. L’habitude me fait repérer là où la porte s’ouvrira. Je m’excuse un peu bruyamment de la place que je prends, surtout pour que mes futurs potentiels alliés repèrent la poussette. Ce qui rendra ce trajet supportable sera clairement la solidarité une fois dans le train, mais l’enjeu principal reste de réussir à monter dedans. Une place assise serait totalement illusoire à cette heure de la journée, mais par contre plusieurs personnes peuvent faire barrages pour nous protéger une fois installés dans un coin.
À partir de là il suffit d’attendre, de demander poliment − quoique fort bruyamment à sortir − et à marcher dans le froid. Ma chérie m’envoie un message pour me dire qu’elle a fini ses transmissions et qu’elle file au staff. Je salue le vigile, je rentre dans l’hôpital, et je libère ma fille dans le hall de la crèche. Elle regarde autour d’elle pendant que j’écris le récit de ma nuit sur un carnet. Temps de sommeil, petit déjeuner, dernière selle, virose en cours, heures d’arrivées et de départ. Personne ne le lira.
Puis je prends sa main pour l’amener à sa section. Un dernier câlin pour profiter de son corps tout chaud et du tirage de cheveux, puis elle saute dans les bras de son auxiliaire et part faire sa journée. Je souffle et regarde l’horloge de pointage.
Je suis presque à l’heure. Comme d’habitude.
Je range la poussette dans le local, je dis bonjour à une collègue de ma chérie qui arrive, puis je file parce que « j’ai un rendez-vous ».
Devant les grilles, avec deux cafés et deux pains au chocolat, je guette le ciré jaune de ma compagne qui se détache sur le fond noir et gris de la foule parisienne. C’est notre moment à deux, notre bout de trajet commun, elle vers sa sieste, moi vers le cabinet. Je lui raconte ma nuit, elle me raconte sa garde en dévorant un croissant, à chaud.
« T’es pas trop en retard ?
− Un peu sur le fil, mais ça va. Je vais essayer de garder le rythme. »
Son baiser rapide, quand elle saute du RER, me redonne du courage pour le reste de la journée.
Photo by Joyce McCown on Unsplash
Respect, immense respect. Provinciale et habitant dans un village, j’ai toujours parcouru en deux minutes chrono, en voiture (le soir à pied, si la météo n’était pas dissuasive et si mon agenda m’en laissait le temps), le kilomètre et demi qui sépare ma maison de celle de ma nounou. Nounou qui avait proposé, l’allaitement terminé, de prendre directement le marmot au réveil (gigoteuse de voiture, bébé réveillé, bisou, dans la coque, sortie de voiture, bras de nounou) et de s’en occuper. Et puis, on fonçait dans notre voiture à nouveau, 15-20 minutes pour moi, 45-50 pour mon mari, pour arriver porte à porte au boulot, sans le stress et la fatigue de la foule et de la cohue. Ça prenait bien moins de temps et bien moins d’énergie. Chapeau à vous.
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Je ne me voyais pas vivre ailleurs qu’à Paris, et ayant grandi ici je sais que c’est possible. Par contre le fait de grandir avec un enfant exige beaucoup.
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Ah, mais je comprends tout à fait ! C’est juste qu’avec mon cadre de vie qui exige moins (moins de temps de logistique le matin, surtout, donc un réveil un peu moins matinal, quoique toujours trop :D), j’ai pour les jeunes parents parisiens avec des yeux ébahis (et avec un brin de compassion, quand j’essaie d’imaginer l’heure à laquelle ils doivent régler leur réveil-matin). Merci pour ce calendrier, en tout cas, c’est toujours un plaisir de te lire !
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