J’ai couru sous la pluie, avec un sandwich nul au saumon au bout de la main, mon sac de domicile faisant des soubresauts sur mon dos éreinté, parce que mon bus était là, de l’autre côté de la rue, et qu’il commençait déjà à se remplir. À ce moment-là, en attendant patiemment que la cohue me permette d’entrer entre « c’est pas trop tôt » avec son cadis noir et « quel temps de merde quand-même » avec sa poussette bleu canard, je me suis dis que j’écrirai peut-être un avent.
En gros, « si j’arrive à trouver une pause cette après-midi », en me mentant à moi-même sur mon retard, « je dois pouvoir trouver quelques histoires à raconter sur cette année qui a été tellement riche en rebondissement ». J’ai profité d’un moment en plein air entre l’arrêt et le cabinet pour mordre dans mon saumon-crudité-pain aux olives-mayonnaise.
C’était gras.
J’aurais dû prendre la part de pizza avec un soda light.
Le couple que je voyais dans cinq minutes en avait dix d’avance. « Je dois bien avoir quelques archives à exploiter, je dois pouvoir piocher dans les non-publiés » si j’ai le temps de gérer mes messages en absence, en mordant parfois dans mon déjeuner un peu nul.
J’ai passé le reste de l’après-midi dans un tunnel dont j’ai émergé à 19h30.
« Est-ce que je peux piocher dans ma journée ? » Est-ce que j’ai des choses à dire sur ce mercredi trop rempli ?
Je ne sais toujours pas assez dire non aux patientes, parce que Paris est un désert médical. Il faut que je discute de ça avec moi-même à notre prochaine réunion intra-cérébrale. Mon centre de la culpabilité me donne l’impression d’abandonner des couples que je ne connais même pas.
Tout ce que j’arrive à dire c’est vaguement « désolé, je suis plein sur la fin de semaine » alors que je devrais clairement répondre « Vous pouvez envoyer vos réclamations à
M. Olivier Véran,
Ministère de la Santé,
14 avenue Duquesne
75350 Paris
pour lui demander pourquoi on ne trouve pas assez de sages-femmes pour assurer les suivis en ville des patientes que les maternités jettent dehors avec leurs nouveau-nés parce qu’il n’y a ni l’argent, ni la place, pour les garder trois jours après un accouchement physiologique. »
Je donne déjà mon temps à celles que je peux voir.
Ma patiente qui déménage, en fin de consultation d’adieu, m’a glissé un paquet de biscuit et un faire-part signé. Un petit mot pour me dire que j’ai existé pour eux dans ce moment délicat qu’a été leur début de parentalité.
Photo by Anandu Vinod on Unsplash