Il y a une pendule sur une étagère, encadrée de bouteilles à moitié vides, et son rythme ressemble à celui de mes doigts sur le zinc ; un vrai zinc en zinc attaqués par le temps, comme on en fait plus. Je déteste les tabourets de bar, cette impression de ne plus toucher le sol, le mal de dos qui nous dit de partir une fois le verre fini. Il y a un barman au visage osseux qui me regarde en essuyant ses verres.
« C’est sympa ici » je glisse. Je suis déjà venu quelques
fois. Je viens un peu plus qu’avant. « Vous faites ça depuis longtemps ?
− OH, C’EST PLUS UN HOBBY SI VOUS VOULEZ, ÇA
ME DÉTEND. »
Quand il arrive, je lui fais un petit signe de tête. On se
fait une bise mal assurée. Ça fait longtemps.
« Ça fait très longtemps, oui. On finit par le boire ce verre.
− Mieux vaut tard que jamais, c’est ce qu’on dit.
− QU’EST-CE QUE ÇA SERA ?
− Je vais rester au Perrier citron. La tranche, pas le sirop.
− Je vais prendre… C’est dur de choisir. Il y aura quoi après ?
− ÇA DÉPEND DE VOUS,
MOI JE NE SUI LÀ QUE POUR LE PASSAGE.
− Une bière alors. On verra bien. »
Un ange passe en s’excusant poliment.
On attend que le serveur nous serve au bruit de ses phalanges sur les verres.
« Bon.
− Bon. Tu te souviens de cette fois où on s’est fait sortir d’anglais ? On
avait ce jeu stupide avec des stylos, où on faisait la course.
− Ces cours d’anglais ne servaient à rien. Enfin.
− Tu avais appris l’anglais sur Age of Empire. Le cours avec des armes et des
ressources, c’était facile, non ?
− Tu te souviens de la salle de réseau ?
− Tu te souviens qu’il y avait des salles de réseau ? La moitié de mon argent
de poche passait là-dedans. J’étais nul. » Je prends mon Perrier.
« Tu n’étais pas nul, c’est moi qui m’entrainais en rentrant chez moi le soir.
»
Je le savais déjà, mais l’entendre dire me fait du bien.
« C’est banal, finalement. On a papoté pendant des heures en
cours de math et de grec. Le prof de math ne voyait rien et l’assistante nous
regardait avec un air mauvais. Je suis toujours assez nul en math, d’ailleurs.
− Moi ça allait. C’est le grec qui n’allait pas. Comme quoi. On se complétait
bien.
− Je revois la place près de la fenêtre poussiéreuse, celle qui donnait
directement sur la cour pavée du lycée, le radiateur et le soleil qui se levait
à peine.
− On est allé beaucoup au cinéma aussi…
− Et on discutait du film en mangeant des conneries juste après. »
Je passe sous silence beaucoup de choses. Comme lui, qui fut le premier à
prendre la défense d’une copine en classe. Elle avait une vie sexuelle, les
mecs de la classe étaient des petits cons envieux et frustrés et la traitait de
pute. Un lycée bourgeois et élitiste ne protège pas de la connerie des gens.
Lui s’était presque battu avec les autres.
Comme lui, qui fut la seule personne à qui je parlais vraiment pendant notre
voyage en Allemagne, parce que la plupart des autres ne voulaient que boire et
fumer du shit.
Nos sessions de jeux, longues, dans des mondes virtuels et des univers
parallèles. On a chassé des dragons en se racontant nos vies et défendu des
châteaux avec des inconnus, les cris de joie ou de rage résonnant sur un chat
vocal.
« Tu as beaucoup travaillé après, non ? Avec ton école
entre Paris et Barcelone. C’est vrai que finalement on n’a plus vraiment parlé
après les études. Tu avais quelqu’un dans ta vie ?
− Je ne sais pas.
− J’ai cru voir passer les vidéos d’une petite fille. C’était la tienne, ou ta
nièce…
− Je n’en ai aucune idée. »
Il n’a pas touché à sa bière. J’ai fini mon Perrier.
« Je me rends compte que je ne sais pas grand-chose sur ce
qui t’es arrivé après. À part cette fois où on s’est croisé. Je sortais du
boulot…
− Oui ! Et moi je sortais du basket ! On s’est dit qu’on se boirait
un verre pour parler du vieux temps et se raconter nos vies. Tu m’avais envoyé
un message mais…
− On fait quoi là ? On le boit ce verre non ? Dites, je pourrais avoir une
bière, moi aussi ?
− NON. »
Il me regarde, Je crois qu’il est triste, un peu.
« Jimmy. Je ne suis qu’un fragment. Je ne suis plus là tu sais, je suis un
souvenir d’il y a presque quinze ans.
− Mais peut-être qu’il y a quelque chose de plus. Sur internet ou…
− Non. Tu peux demander à ma sœur, mais elle doit être occupée à présent. Très
occupée.
− J’imagines que c’est ça. Les gens changent et se séparent. »
Il se lève. S’étire un peu.
« Bon. Il faut que j’y aille. Je ne sais pas pour combien de temps j’en ai, mais… Si tu croises les gens, parlez un peu de moi. Si vous en avez envie. »
Il sort en me faisant un signe de main, sans se retourner. Je regarde sa silhouette élancée disparaître dans la rue.
J’ai mal au dos. Je me lève. J’essaye de retenir quelques
larmes. « J’aimerais rester un peu plus longtemps. Je peux…
− NON. DÉSOLÉ MAIS J’AI DU TRAVAIL.
− Je comprends. C’est sympa tout… Ça. C’est une belle touche.
− ÇA C’EST VOUS.
− Ah. Il y a quoi d’habitude ?
− MOI. IL N’Y A QUE MOI. »
Je comprends.
« Merci en tout cas. J’apprécie le geste.
− JE N’AI PAS LE CHOIX. IL Y A DES CHOSES À RESPECTER AVEC LES SAGES-FEMMES. VOUS ÊTES CHIANTES PARFOIS.
− C’est assez vrai, je crois. Bon ben…
− À BIENTÔT.
− Pas trop vite s’il vous plaît. »
Il pointe la pendule derrière lui. « JE NE CONTRÔLE PAS. »
*hugs*
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Merci.
C’est hélas quelque chose qui arrive un peu quand on grandit.
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Bon, je ne dois pas être douée…Je n’ai rien compris…. 😦
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J’aime beaucoup votre blog. Un plaisir de venir flâner sur vos pages. Une belle découverte et blog très intéressant. Je reviendrai m’y poser. N’hésitez pas à visiter mon univers. Au plaisir.
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