« Ça fera 23€. »
Ma patiente me regarde et sort un billet de dix et un billet de vingt. « Vous gardez la monnaie hein, ça vaut pas vingt-trois euros votre consultation.
− Non, je n’ai pas le droit, » je réponds en lui rendant sept euros.
« Oh, ça va, je ne le dirai pas, ça me fait plaisir. »
Elle me fait ça souvent. C’est notre blague à nous depuis presque deux ans et demi. « Ils vous passent quand à vingt-cinq, comme les généralistes ?
− Alors ça…
− Parce que mon gynéco, lui, il me prend 20 minutes, mais il me facture quatre-vingt euros avec l’échographie. Votre consultation elle vaut facilement ça aussi, non ? Et puis la mutuelle elle paye, alors… »
Je suis conventionné secteur 1, j’applique les tarifs de la sécurité sociale. Il doit m’arriver de faire un dépassement trois fois par an quand la notion de « pratique inhabituelle ou exceptionnelle » entre en ligne de compte. J’ai beau être dans une ville chère, Paris, mon conseil de l’ordre rappelle tous les ans, au moment d’une réunion, que les dépassements sont interdits si on est conventionnés en secteur 1.
Il n’y a presque pas de libérales au bureau départemental, mais elles ont raison. C’est les textes.
J’ai une espèce de rapport bizarre à l’argent, je pense comme la majorité de mes consœurs d’ailleurs.
Toutes mes études se sont faites dans le public. Je ne suis pas naïf au point de me dire que l’argent n’existe pas dans la relation de soin (je vais chez le médecin, je paye mon médecin) ; mais elle était en dehors de mes études.
La maternité est un microcosme particulier où les patientes payent peu. On ne se pose même pas la question, en fait, parce qu’elles sont toujours prise en charge à 100% le temps du séjour. La notion d’argent s’arrange avec un « en sortant descendez aux admissions avec votre carte vitale et votre mutuelle ».
J’ai toujours trouvé ça génial.
Et c’est peut-être ce qui m’a toujours fait renâcler à travailler en clinique privée.
Je ne trouve pas normal que des femmes payent, à cause d’un lien de confiance affectif, des sommes importantes, alors qu’elles pourraient obtenir un service médicale de bonne qualité en allant à l’hôpital public et ne pas payer ces sommes importantes.
Cela m’avait choqué il y a 10 ans, quand j’ai découvert ce système.
Cela m’a choqué la semaine dernière quand une patiente m’a montré le devis fait par le médecin « pour sa mutuelle ».
Cela m’a choqué il y a trois jours quand on a parlé du Sim37 sur Twitter.
C’est la dernière trouvaille d’un médecin de La Muette, le Dr Olivier Ami, pour essayer après une série d’IRM d’évaluer la faisabilité ou non d’un accouchement voie basse, et au passage prévenir l’autisme et les hémorragies intra-craniennes (genre). La procédure coûte très cher, la césarienne est facile à préconiser après-coup, l’ensemble ne se base sur aucun article scientifique ; le Collège National des Gynécologues Obstétriciens Français considère que cette méthode ne présente aucun intérêt pour les femmes.
Pour les médecins qui la préconisent, elle est financièrement intéressante et utilise des leviers douteux, notamment la crainte des femmes pour leur futur enfant et une infantilisation malvenue.
Car arrive le nœud du problème.
Les femmes ne sont pas des portefeuilles sur pattes. On exploite la peur pour extorquer de l’argent. Puis ces patientes viennent chez leur sage-femme et se disent que ça doit être moins bien chez moi, vu que ma consultation vaut vingt-trois euros.
Quoique. Elles s’étonnent surtout.
Je ne fais pas gonfler mes prix. Pour l’instant.
On reparlera de la pression financière qui pèse sur les libéraux.
Pour l’instant je crois encore qu’on peut essayer de faire évoluer les textes.