J’étais là pour acheter du papier.
Il y a une papeterie professionnelle à 10 minutes à pied du cabinet. Je crois que ça avait surpris des gens, sur Twitter, il y a deux semaines, quand j’avais avoué au milieu d’une conversation que je n’avais pas de voiture ; qu’ayant vécu à Paris toute ma vie je n’avais tout bêtement pas le permis.
J’ai bien essayé de le passer une ou deux fois, mais la première fois mon auto-école a fait faillite (parce que le directeur fraudait l’URSSAF) et l’argent que j’avais mis dedans avait disparu. La deuxième fois j’étais en province et très motivé, mais le chef de service m’a remercié avant la fin de ma période d’essai parce que…
L’avantage de la vie parisienne, c’est qu’on trouve la plupart des choses facilement à pied ou en transport.
J’arrivais sur mes dernières feuilles, mon imprimante criait famine, ma pause déjeuner était un peu plus longue que d’habitude, bref le moment idéal pour aller faire des courses.
Vous ne voulez pas entrer avec moi dans une papeterie.
Je suis de la catégorie d’humain qui, quand ils vont mal, achète un nouveau carnet/cahier/bloc note, quelques stylo, et commence à écrire. J’ai sous mon bureau deux coffres qui contiennent ce que ma chérie appelle pudiquement mon « œuvre » : de trop nombreux carnets dont la première page s’orne d’un « Journal [insérer l’année en cours] : [date du jour] Il y a longtemps que je n’ai pas écrit un journal mais je vais aller plus loin cette fois-ci et… »
En général je tiens sur deux pages, et je m’arrête. Puis, satisfait, je range le carnet dans la bibliothèque pour le retrouver en cas de besoin, en glissant un doigt satisfait sur la tranche de ses frères et sœurs.
Ensuite ils prennent la poussière.
Du coup j’étais dans les allée de la papeterie, à regarder les stylos encre « ambiance tropicale » pour faire des schémas aux patientes (je me suis imaginé accompagné de ma moitié et de son regard jugeant pour ne pas craquer), j’ai flâné vers les classeurs, les plastifieurs et les cartons d’archive. Au fond, il y avait les panneaux d’affichages.
Dans mon cabinet, ceux qui me connaissent savent qu’il y a derrière mon bureau un tableau en liège pour les faire-part. C’était une partie de ma première commande Ikea quand je me suis installé il y a 7 ans. Je me disais, à l’époque, que ça serait une touche sympa pour décorer.
Ça faisait un an et demi qu’il débordait, et je stockais les nouveaux arrivants dans un de mes carnets − j’ai une filiale professionnelle dans mon bureau (ne le dites pas à ma chérie) − et que je repoussais l’achat d’un nouveau tableau à une prochaine commande.
On était en janvier 2023. La commande de meuble avait été repoussé sine die et l’occasion faisait le larron.
Insérer ensuite un intermède gênant où votre dévoué trimballe le tableau léger quoi qu’encombrant dans le métro pour une station.
Ce fut chiant. J’étais néanmoins fier d’avoir avancé un tout petit peu dans ma liste des choses à faire pour le cabinet.
Il me fallut deux jours de plus pour me motiver à amener la perceuse au cabinet, puis trouver le temps entre deux patientes. Mal-heureusement le mois de janvier était calme. J’ai ensuite pris tous les faire-part et j’ai commencé à les trier avec application.
7 ans de parentalités accompagnées.
Les couples n’en font pas tous.
Il y a une sorte de vide étrange en 2020, comme si…
Si vous n’êtes pas sage-femme, alors je vais vous confier un secret.
J’aime beaucoup le chocolat (ma chérie aussi) et ça fait toujours plaisir quand il s’agit de remercier une équipe. Ma compagne prend en photo tout ce qu’elle reçoit pour les mettre dans ses carnets d’accouchement.
J’ai reçu quelques bouteilles de champagne quand les gens sont très contents, et aussi des choses plus personnalisées.
Ce qu’on gardera précieusement toute notre vie, ce sont les mots.
J’étale les photos de bébé, les dates, les prénoms. Je ne peux pas m’empêcher de lire les remerciements au dos, parfois sobre, parfois sur une lettre que j’accroche derrière.
Lentement je les épingle en essayant d’organiser le nouvel espace disponible. Je me suis dit que ça serait bien par année et par fratrie, et une partie de l’ancien tableau regroupe les couples avec qui on se tutoie.
Une fois une cadre d’hospitalisation m’a dit « c’est fou, les libéraux, à quel point vous avez une bonne mémoire de vos patientes ». Ce n’est pas le cas pour toutes, mais quand je revois les noms sur les faire-part, j’ai des souvenirs plus ou moins diffus qui me reviennent. On a des relations de soins plus ou moins profondes, en 7 ans, des couples qui vous marquent, celles qui sont revenues pour une 2ème, parfois une 3ème grossesse, celles qui sont venues demander leur dossier parce qu’elles quittaient Paris, devenue trop étroite pour leur famille qui s’agrandit. J’ai des souvenirs de séance de préparation et de premiers jours à domicile, d’un papa perdu avec son 20 mois en salle d’attente qui avait besoin de discuter après avoir vu le pédiatre.
Comme je le disais dans mon article de début d’année, j’aime le libéral pour ces histoires. Les faire-parts, c’est comme un tas de marques pages annotés.
Photo de Derick McKinney sur Unsplash
Faire part (de).
Rien que le nom de ces marque-page particuliers est très évocateur…
J’aimeJ’aime
Et chez moi j’en ai d’autres hein. Des amis, des mariages… Mais ceux du cabinet sont spéciaux.
J’aimeAimé par 1 personne