« Je viens faire un test IST » me dit-elle en se posant dans le fauteuil. Je ne la connais pas, mais je suis sage-femme depuis quelques temps maintenant, et elle a pris le premier rendez-vous, celui de 9h, le lundi, hier matin. J’ai déjà quelques idées sur ce qui l’a poussé à prendre ce créneau mais « Qu’est-ce qui vous est arrivé ? » je demande, en les gardant pour moi.
« Et bien… J’ai eu mon premier rapport ce week-end et on a oublié le préservatif. C’est bête, c’est pas vraiment moi. » Elle ressemble à une élève studieuse qui se résout à recevoir une punition.
Ça et les questions de poids, les patientes donnent l’impression d’attendre qu’une règle s’abatte sur des bouts de doigts trop roses et charnus pour être honnête.
Et je n’ai pas envie d’être ce professionnel qui juge les gens − tout court − sur leurs conduites à risque.
(J’essaye de croire que ces soignants-là n’existent pas, mais vous allez me dire que non seulement ils existent et que l’anticipation de la sanction de la part des patientes en gynécologie est justement construite comme une réponse à ce genre de violence médicale. Vous aurez hélas raison.)
« C’est une conduite à risque, c’est vrai. On va créer un petit dossier, si vous êtes d’accord, et on va en parler. Vous voulez bien ? » Elle enlève son manteau, et on commence à discuter. Je commence par noter froidement ce qu’elle m’a raconté pour l’instant, puis je lui demande les grands classiques : poids, taille, problèmes de santé, traitements, addictions, violences…
« Et donc, du coup, ce week-end ? » Quand on parle depuis un petit quart d’heure et qu’on a brisé un peu plus la glace, c’est souvent plus facile de revenir sur les sujets délicats.
Là, je sens qu’on marche sur des œufs. « Et bien j’étais un soirée, je suis rentré avec un garçon et on a oublié la capote.
− Ça peut arriver dans le feu de l’action. Surtout si vous aviez bu tous les deux.
− Oui. D’habitude je ne suis pas attiré par les hommes… »
Je me tais. Je recule dans ma chaise et je la regarde.
« C’était un peu la première fois, je ne pensais pas que ça irait aussi loin en fait et… »
Le Malaise qui était dans un coin du bureau depuis le début de la consultation prend la deuxième chaise à côté d’elle. On a du temps pour en discuter.
C’est un viol. Est-ce un viol ? Je ne dis pas ça à ma patiente, déjà.
J’aperçois une espèce de grosse pelote de fil avec un bout qui dépasse. Je tire doucement dessus « qu’est-ce que vous en pensez ? » « vous êtes d’accord pour qu’on en discute ? » « qu’est-ce que vous ressentez ? » On évoque doucement cette soirée étudiante, l’attirance physique, les premiers gestes agréables. « Et puis je n’ai pas vraiment su dire que je ne voulais pas. J’ai subit. J’ai juste pensé qu’il s’arrêterait si je ne bougeais plus. Puis il s’est endormi et je me suis dit que les hétéros avaient une sexualité bizarre.
− C’est une zone grise. Le concept vous parle ? »
J’ai un peu bondi sur mon siège de bureau imaginaire (j’étais en train de calmer ma fille qui, au milieu de ses quintes de toux, tentait de retrouver le sommeil) quand j’ai lu ce terme pour parler de gynécologie et de violences à l’examen en début de semaine.
Les gynécologues se posent des questions face aux accusations de violences contre certains de leurs confrères. On pense notamment aux faits de viols dénoncés à l’encontre d’Émile Daraï et de sa collègue et consœur Chrysoula Zacharopoulou qui ont fait du bruit dans les médias. J’avais d’ailleurs à ce moment-là fait un thread qui a été repris dans le podcast d’Olympe de G, le Serment d’Augusta et je n’en reprendrais pas un mot.
En fait, je pense que le consentement en gynécologie n’est pas une notion si complexe. Le débat éthique qui parcourt l’article d’Hospimédia sur les « besoin de délicatesse », « intentions non sexuelles » et que l’acte « répond aux règles de l’art » cherche davantage à interroger les suites juridiques et jurisprudentielles que peuvent avoir les plaintes de patientes.
Le Comité Consultatif National d’Éthique qui a été saisie par la première ministre, a comme projet de « revenir aux fondamentaux » et « insiste sur l’importance du dialogue dans un temps contraint ». « L’une des difficultés c’est la manière de faire passer des messages sans apparaître comme un donneur de leçons« , précise la vice-présidente Karine Lefeuvre.
Je trouve que parler de « Zone Grise » comme le fait l’article est malvenu. L’ambiguïté n’a pas sa place, les gens ne sont pas obligés d’accepter de subir des actes sur leur sexe sans avoir d’explications. Avant. Pendant. Après.
Ça fait 7 ans bientôt que je suis installé en libéral et je parle de ma pratique avec les patientes, j’essaye de les inclure dedans. C’est bête, mais si vous dites à quelqu’un « on se revoit dans trois ans pour votre frottis » c’est beaucoup moins efficace que si vous lui expliquez pourquoi on se revoit dans trois ans, à quoi sert un frottis ; pourquoi on ne se revoit pas forcément avant.
C’est vrai pour la contraception, pour les dépistages, pour les discussions.
Je demande aux femmes si elle ont subit des violences, mais surtout je leur demande si elle souhaite en parler, si elles ont besoin de pousser ce sujet, si elle sont prête à rentrer dans cet épisode traumatique passé avec moi pour voir ce qu’on peut en dire.
Si vous pensez qu’une zone grise peut ne serait-ce qu’exister en gynécologie, c’est que vous avez un problème.
Posez vous des questions.