« Le plus important, c’est d’avoir un environnement positif ! On veut plein d’ocytocine pour que Poupette (ceci est bien entendu un nom inventé, personne n’appelle sa fille Poupette, rassurez moi) puisse avoir plein de lait ! » Je prends une coudée de recul et je fais le supporter : « Allez Poupette ! On veut une belle ouverture de bouche ! Tu peux le faire ! »
À cet instant précis je repense à mon premier jour de stage en suite de couche.
Voici Jimmy, 20 ans, jeune, fringant, mal dégrossi. On l’appellera « l’élève sage-femme » ou « hey, toi » pendant un certain temps. Avec une formation presque inexistante (un polycopié fort moche de 95 pages à connaître par cœur), Jimmy va devoir aider des jeunes mamans à faire des mises au sein.
« Il tête bien ? » demande la jeune femme allongée dans son lit d’hôpital à cette personne dont le seul mérite est d’avoir un badge d’élève sage-femme.
« Euh » répond se dernier. « Ça vous fait mal ?
− Pas trop.
− Alors j’imagine que ça va. »
Et ensuite, ayant fait d’autres stages, ayant acquis de l’expérience, et ayant laissé les gens s’en occuper à sa place, il a fini par entrer dans la vie professionnelle avec une connaissance de l’allaitement maternel relativement faible.
Je ne sais pas trop ce que donne la formation des sages-femmes douze ans plus tard, mais les étudiantes sages-femmes qui viennent au cabinet ont un niveau de compétence qui semble surtout lié à leurs affinités avec le sujet.
Sauf les étudiantes belges. En générale, elles savent de quoi elles parlent.
Je suis donc avec Poupette, sa mère, son père, à essayer de faire une mise au sein à domicile.
Depuis mes débuts chaotiques de sage-femme, j’ai heureusement croisé le chemin de la formation continue, et j’ai donc maintenant une connaissance plus ferme du sujet.
Et j’ai surtout arrêté de dire des bêtises entendue en stage, et qui se révélaient peu efficaces.
Poupette se débat et picore. Elle a ce mouvement typique du nouveau-né de 4 jours, l’apprentissage du sein encore en cours. Elle soulève sa tête, cherche à droite et à gauche, refait une tentative et pleure. J’ai presque envie de l’aider. On sent le stress qui monte d’un cran dans la pièce
Je sais qu’il faut faire une présentation, je sais qu’il faut leur faire confiance, mais la tentation de la saisir pour la guider est grande.
Sauf que tout à l’heure je ne serai plus là. Je reviens dans 2 jours en espérant voir une belle courbe de poids.
Donc je fais encore un pas en arrière.
Je laisse de l’espace.
Parfois la seule chose à faire c’est de regarder un bébé réussir finalement à prendre le sein de sa mère.