Je suis retourné voir Aurore lundi.
Avoir un sage-femme qui est là dans la période de Noël, c’est une chance. Cette année nous restons à Paris pour les fêtes de fin d’année.
Aurore est une patiente sourire. Ça s’est révélé sur son suivi de grossesse. Elle porte bien son prénom, lumineuse comme elle est toujours. Nous avions préparé un accouchement sans péridurale, un essai de connexion au corps qui lui parlait particulièrement de part son métier artistique.
Son bébé avait décidé de rester en siège, donc nous avions commencé à évoquer la nécessité d’une péridurale, et de médicaliser l’accouchement.
Il s’agit du genre de situation où la collaboration entre les patientes et les équipes prend tout son sens. J’avais reçu un message deux semaines après le dernier cours pour m’annoncer son accouchement.
Elle était sortie juste avant le week-end, j’avais naturellement trouvé le temps de passer sur ma pause déjeuner.
Elle m’a ouvert la porte pliée en deux. Un sourire brisé de douleur.
« Vous allez bien ? m’a-t-elle demandé, moi c’est pas la fête. » Je suis entré dans leur vestibule, j’ai poussé de la fesse la yoyo qui occupait l’espace réduit de leur appartement parisien — c’est un pléonasme — et j’ai posé mes affaires dans leur salon. « Vous voulez un café ? » m’a glissé son chéri, « j’ai de l’instantané mais… » J’ai acquiescé. Sa compagne s’est coulée dans le fauteuil avec le visage tordu. « Pardon, d’habitude j’arrive à faire des blagues, mais là… »
« Quand je suis arrivé, ils ont mesuré la tête et il y avait deux millimètres de trop. On est passé au bloc et ça s’est bien passé. » Son visage s’est couvert de larme. « En même temps, quelqu’un nous avait dit en préparation à la naissance que si les conditions étaient limites, il y aurait une césarienne » a rappellé son chéri en posant la cafetière à piston sur la table.
« Je sais, a-t-elle dit.
— Ça reste frustrant, j’ai ajouté.
— Oui. Mais vraiment, la césarienne s’est bien passée. Promis. L’après… »
Aurore avait mal.
Vous connaissez les protocoles de suites opératoires, pour les césariennes ?
Il y a 20 ans, les femmes qui n’accouchaient pas par voie basse restaient hospitalisées longtemps, avec une sonde urinaire pendant les premières vingt-quatre heure, un premier levé le deuxième jour… Comme toutes les patientes opérées.
Sur le début du vingt-et-unième siècle les détails de la prise en charge ont changé. On a commencé à mettre les enfants en peau à peau au bloc opératoire, à lever les gens précocement, avec ce qu’il faut comme traitements antalgiques pour que les femmes puissent s’occuper de leur enfant, et envisager un retour chez elles juste quatre jours après l’accouchement.
On appelle ça la réhabilitation précoce.
Et bien l’équipe avait merdé sur la réhabilitation précoce.
[J’insère ici une rengaine bien connue sur la casse de l’hôpital public et le manque de personnel.]
Elle était sortie quatre jours après l’opération avec du Paracétamol. « Parce que le protocole dit que le Kétoprofène, c’est 48 heures maximum. »
Je me mets rarement en colère, mais là. Rester. Confraternel. Était. Difficile. Je le suis resté1. « On va reprendre tout depuis le début. » Si j’avais eu une étudiante avec moi, je lui aurais dit que c’était le cas où on réalise un examen systématique.
J’ai cherché une source à la douleur : hématome de paroi, infection en cours, défense abdominale ; l’examen était normal. C’était rassurant. Cela prenait juste du temps de changer de position, quand chaque mouvement devenait un supplice.
Nous avons donc rediscuté de son traitement antalgique, et je lui ai fait reprendre des anti-inflammatoires. Ne serait-ce que pour tenir le week-end.
L’allaitement aussi, lui faisait mal. J’ai pesé son fils, qui prenait du poids. « C’est quoi les choses rassurantes ? Il se réveille pour manger ? Oui. Il remplit ses couches ? Oui. » Son chéri lui a enfilé un body et j’ai revu la mise au sein. Le temps qu’il a fallut à l’Ibuprofène pour faire son effet.
J’ai eu l’impression de ramasser patiemment les morceaux de son sourire tombé à terre pour les recoller.
« Vous restez donc vivre avec nous ? » a plaisanté son chéri. « Quand vous êtes là, ça va mieux. » Pour la première fois depuis mon arrivé elle a ri. Puis grimacé. Puis ri.
« J’ai des enfants à gérer ce week-end, mais je reviens lundi, c’est promis. »
Je suis retourné voir Aurore lundi.
Elle avait le sourire. Celui que je lui connaissais. Elle avait encore du mal à faire ouvrir la bouche à son bébé sur les mises au sein, mais c’était beaucoup mieux.
Elle avait surtout moins mal.
C’est toujours le plus important.
Surtout quand le chemin qu’il reste à parcourir est long.
- Je l’étais même resté quand une copine avait prescrit de l’homéopathie en suite de couche pour une congestion mammaire, la version vraiment beaucoup plus douloureuse de la montée de lait. Est-ce que j’étais resté totalement calme ? C’est une autre histoire. ↩︎
Le fait de l’avoir écoutée, examinée et rassurée l’a sûrement beaucoup aidée.
Je suis rentrée de la maternité après un accouchement voie basse très violent. J’avais mal, vraiment mal. J’avais du mal à me déplacer. Or nous n’étions qu’à deux. Mais on a dû penser que j’étais une chochotte, parce que quand je le disais, on balayait ça de la main, l’immense suture peut-être. Sauf que le jour de ma sortie, la sf a dit que mon utérus était encore gros. J’en ai chié plusieurs jours. Et puis un jour j’ai expulsé de monstrueux caillots. Brutalement je n’avais plus mal et je pouvais bouger.
Je leur en veux de ne pas m’avoir écoutée…
Merci pour elle.
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Il y a un sujet.
Je me bats contre la douleur et contre cette idée horrible du « Oh après un accouchement c’est bon » qui dirait que les femmes qui ont donné la vie deviennent immédiatement beaucoup plus tolérantes à la douleur.
Mais il y a une tradition en gynécologie d’ignorer la douleur des femmes.
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Pour avoir vécu une césarienne en urgence pour souffrance foetale, et 3 ans après une voie basse en douceur sans péri, je connais bien la différence de suites de couches.
Ça n’a juste rien à voir, en termes de douleur physique et de choc moral. Après une césarienne on est en état post opératoire, et il faut gérer un nouveau-né qui aurait pu ne pas vivre, la peur rétrospective, la montée de lait, la chute d’hormones…
La naissance de ma fille restera un traumatisme, et celle de mon fils une revanche.
Une fois le bébé mis au monde on a souvent la sensation que tout le monde part du principe que la mère n’a plus besoin d’être autant aidée. Heureusement que les sages femmes sont là pour y pallier.
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Je suis désolé pour ton expérience. Si on sait qu’une naissance risque d’être traumatique, on peut essayer d’anticiper. Ce n’est pas toujours fait.
C’est une impression générale : on a une tendance à traiter la mère comme un vaisseau, puis on place sur ses épaules une charge titanesque. Les chiffres en post-partum sont assez nuls en France.
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Merci pour cet émouvant calendrier de l’avent que je retrouve chaque année avec bonheur.
Vous avez traversé une épreuve terrible cette année, de celles qui changent définitivement notre vision de la vie. Je suis heureuse que tout de soit finalement bien terminé pour votre famille.
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