Je revenais, avec un peu de retard de ma séance de préparation à la naissance. C’était la faute des massages, clairement. Je finis toujours cette séance-là en retard.
Je suis arrivé dans le cabinet, mais il n’y avait personne devant la porte. La salle d’attente était ouverte, ma colocataire finissait ses consultations du matin, mais elle était vide. Pas de message, pas de réponse.
Les lapins, ça arrive. C’est pas grave. Ça me fera une pose déjeuner plus longue…
Mon téléphone vibra alors, et j’ai eu une pensée pour mes patientes. Je suis mauvaise langue, car elles sont fantastiques. Il s’agissait sans doute d’excuses, ou d’un petit mot me prévenant d’un retard.
En fait non, c’était la patiente d’après qui venait d’annuler sa préparation à domicile. Une heure et demi avant. Et ça m’a mis en colère.
En 7 ans d’exercices, j’ai finis par comprendre que dans un monde d’adulte, la première personne qui se met en colère a généralement perdu.
Si l’obstétricien·ne vous engueule en plein bloc opératoire, alors l’ensemble du personnel vous plaindra en disant qu’iel est caractériel·le et qu’iel n’arrive pas à gérer son stress. Vous avez gagné, iel a perdư·e.
J’ose avancer que la colère est mauvaise dans une relation de soin. Je pense d’ailleurs qu’engueuler les patientes, les culpabiliser, et essayer de maintenir sur elle une emprise qui les fait ployer sous la peur, sont des tactiques d’un autre siècle.
Une vraie forme de violence médicale.
Autant vous dire qu’à ce moment là, je n’en mène pas large.
J’ai commencé par penser un juron assez moche en me mordant la lèvre et en insultant des trucs abstrait. Genre le cruel destin, ou la fortune infidèle.
Oui, ça m’énerve, oui ça me fait chier… Je suis en colère.
Je compose un premier message assez bourrin, je relis le message, puis je l’efface.
Je ne suis juste pas en état de faire une bonne réponse, là tout de suite.
J’ai juré de ne jamais me mettre en colère contre une patiente, pas non plus devant une patiente. La violence ne devrait pas avoir de place dans un espace professionnel, et elle ne doit pas être un exemple à montrer à des jeunes parents ou à des étudiantes en stage.
Pourtant, quand je relis des morceaux de mes premiers blogs, je me rends compte que ma colère a été un moteur dans mon écriture pendant quelques années. J’ai engueulé des gynécologues indélicats qui se lançait sur internet sans vraiment comprendre ce qui les attendait dans cette aventure. J’ai écris des trucs à Odile Buisson − mais sans nous mentir, la plupart des sages-femmes qui bloguent ont râlé sur ses bouquins. J’ai crié ma haine du système.
J’étais persuadé, à l’époque, que l’écriture se devait d’être quelque chose de puissant et de viscéral.
J’ai écris beaucoup de conneries. Parce que la colère est une très mauvaise conseillère.
Entre temps ma colocataire a fini sa consultation d’avant déjeuner. Je passe une tête.
« Ça va ? Moi ça va pas. »
L’intérêt des colocataires, c’est de pouvoir s’épancher un peu. On se parle un peu de nos histoires, ça permet de se sentir moins seul.
Je raconte donc, sans m’énerver, et ça va déjà un peu mieux. « Bon. Et si tu n’as plus rien à faire avant 16h, tu ne veux pas aller te balader un peu ? » Je ne sais pas… C’est qu’il fait froid et qu’il pleut dehors.
Il faut que je déjeune, en fait.
Un message plus tard, je me mets en route pour retrouver mon père. Il m’invite au restaurant, puis j’irai marcher un peu. Flâner dans le centre de Paris pour chercher l’inspiration pour mes cadeaux de Noël. Je souffle. Marcher va me faire du bien.
Je suis déjà plus calme.
Sur le chemin du métro, j’écris un message diplomatique à ma patiente.
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Une réflexion sur “10 La colère”