« Je viens pour discuter de mon stérilet au cuivre, je crois qu’il joue trop sur mes hormones, dit-elle en s’asseyant sur la chaise. J’ai besoin de faire un dosage de cuivre.
— Moi aussi j’ai vu la vidéo !
— Ah ! Ben justement ! Je voulais votre avis, répond-elle.
— Vous n’allez pas l’aimer, je vous préviens. Mais… »
TikTok me recommande, dans mes sessions de recherche de dopamine gratuite, nombreuses à cause de la fatigue et de l’envie de calmer mon cerveau, du contenu gynécologique. Ça m’aide énormément à Nanterre, parce qu’il faut rester à la page par rapport à mon public.
Mes patientes se désinforment comme elles le peuvent avec les moyens qu’elles ont. Je sais qu’après les inquiétudes liées aux attentats et au complotisme, les élèves de primaire et de secondaire sont censés recevoir une éducation aux médias, mais, comme tous les éléments qui ne sont pas dans un socle d’enseignement prioritaire, se pose la question de la mise en place et de la qualité.
Je pense que le problème se démultiplie quand on y adjoint la question de la santé gynécologique. J’ai très envie d’invoquer mes références sûre, Barbara Ehrenreich et Deirdre English1 sur les question d’accès à l’information. On part avec un handicap double : l’absence de regard critique sur le contenu se heurte à la non ou mal application des directives sur les enseignements à la vie sexuelle et affective.
Normalement deux heures par an de la maternelle à la Terminale.
Le fait que ce programme soit attaqué par les complotistes d’extrème-droite et réactionnaires n’aide pas. La littérature est assez claire sur le fait que la culture du secret bénéficie aux agresseurs et au maintient de l’emprise.
Les professeurs, les chefs d’établissement, les parents d’élèves peuvent devenir autant de freins à la mise en place de séances qui visent déjà à pouvoir nommer son corps correctement et à comprendre des notions comme le consentement, l’intimité… À, par exemple, signaler qu’on a une vulve ou un pénis qu’un adulte a touché en se drapant derrière le poids de l’autorité.
Ce n’était pas mon sujet initial.
Je pense que l’un point essentiel de l’histoire de la gynécologie, de la racine de la profession de sage-femme, c’est la paire-aidance. Au début du monde, alors qu’elle avait des contractions, la première parturiente a trouvé la première sage-femme.
Ses sages-femmes.
Son groupe de femmes, plus ou moins capable de comprendre ce qui se produisait.
Leur sœur avait mal et il fallait lui porter secours.
Il s’est toujours heurté à la question aux tentatives de contrôle social.
Quand l’information n’existe pas, ou qu’elle est contrôlée, cloisonnée ou même, dans certains cas totalement fausse…
Pardon, je reprends.
Si vous n’avez pas de littérature sur les cancers gynécologiques au quinzième siècle parce que personne n’en a jamais eu rien à carrer, et que vous êtes sage-femme, vous écrivez un traité2.
Si vous avez vos règles, et que votre mère n’est pas quelqu’un qui accueille la question des protections hygiéniques avec enthousiasme et bienveillance, vous demandez à vos copines. Parce que les règles restent, hélas, un tabou, encore en 2025, alors que ça concerne la moitié de l’humanité presque une semaine par mois pendant la majorité de sa vie.
Si des gynécologues américains verrouille l’accès à votre corps et à vos soins, dans les années 70, vous vous retrouvez en groupe pour regarder votre col de l’utérus avec un miroir3.
En 2025, trainer sur TikTok, « un réseau de jeunes », met face à la vulgarisation en gynécologie. Je n’ose pas imaginer ce qui existe sur Snapchat. Je ne vais pas céder à l’écueil facile de dire que tout est nul. En vrai il y a du bon contenu. Si je devais définir une hiérarchie de l’information :
Il y a la professionnelle (gynécologue, sage-femme, infirmière en santé sexuelle) qui a un format plus ou moins efficace. Parfois je trouve ça chouette — mais je suis un sage-femme homme de 37 ans blanc, c’est pas forcément une bonne nouvelle en terme de ciblage — parfois totalement cringe. Au moins ça existe.
Je mettrais juste en dessous, et ensemble, les coach et les TDS.
Je sais. J’ai un point, je le promet.
En fait on sent l’absence de formation carrée, mais le contenu est parfois qualitatif avec une volonté d’atteindre un public cible. Le revers de la médaille — de toutes les plateformes — c’est l’intention de vendre quelque chose à la fin, comme une formation ou un abonnement.
Viennent ensuite les patientes ressources et patientes expertes, qui ont une pathologie spécifique, par exemple. Le témoignage est toujours intéressant, la généralisation est parfois maladroite (parce que oui, patient-expert, c’est un statut issu d’une formation et ça ne s’improvise pas), la volonté de vendre est aussi parfois présente. On est dans la France à Macron, les fins de mois sont parfois dures.
À égalité, je vais mettre les militantes féministes qui font de la vulgarisation. L’intention est super, le contenu est aléatoire, le niveau d’information est le reflet de leur compétence personnelle. Je vous renvoie à ma partie sur la paire-aidance.
Mais elles sont un bouclier sue ce qui se trouve en dessous.
Parce qu’à partir de là on plonge dans les abysses.
Parce que oui, une partie non négligeable du contenu est produit par des charlatans. Naturopathes, ostéopathes ou chiropracteurs attirés par le besoin de légitimité, régimes et compléments alimentaires, « consultations » et formations en ligne, bilan sur mesure qui coûte un ovaire dans un laboratoire partenaire. Parce que c’est fou à quel point des personnes anti-science peuvent vouloir vous faire manger des oligo-éléments ou du sucre.
J’ai une sorte de haine chevillée au corps en ce qui concerne le mercantilisme, mais à l’extrême rigueur je veux bien accepter qu’ils ont une sorte de volonté de soigner les gens. Ils prennent votre argent et vont d’inoffensifs à dangereux.
Le fond de la fosse septique est occupée par les réacs. Des hommes, des femmes. Toutes les religions, toutes les motivations, toutes les dérives complotiste, masculinistes, politiques ou sectaires. On va pas se mentir : ça sent plus la transpiration de chemise brune qu’autre chose. Ces gens veulent ressembler à des pairs-aidants, ils fournissent de la désinformations crasse, orientée, anti-contraception, anti-médecine. Vous découvrirez avec eux que bloquer vos règles empêche d’évacuer les toxines, et que les femmes « pures » n’en ont point. Les pilules ont été crée par les américains pour rendre les femmes stériles, c’est donc pour ça que la natalité baisse. En même temps les contraceptions hormonales, ça change les hormones naturelle, donc c’est pas bien, parce que la nature c’est aussi que les femmes fasse des enfants et soient soumise. Qu’elles soient des femmes quoi. D’ailleurs ne prenez rien pour vos douleurs, et surtout pas d’anti-inflammatoires : ça rend stérile. En tout cas la douleur c’est…
« Donc vous vouliez mon avis, disais-je, sur la vidéo de la naturopathe qui a mélangé les questions de métabolisme du cuivre, et qui oublie que le passage sanguin lié à un stérilet au cuivre est inférieur à ce qu’on absorbe quand on mange une poire ? Ben elle est éclatée au sol. »
Vous connaissez la loi de Brandolini ?
Une vidéo de merde, combien de vues, quel chiffre d’affaire.
Combien de consultations pour expliquer, rassurer, débunker.
Ils ne manquent pas d’imagination pour inventer des théories fumeuses et pousser leurs opinions gerbantes. Tout ce que je vois c’est des gens qui — par croyance ou idéologie — empêche des femmes d’accéder à des traitements et les poussent à prendre des risques dans leur santé.
Et ça me donne beaucoup de travail.
- Je ne suis pas en train de vous dire, après avoir lu mon article (restez hein) d’aller lire, se ce n’est pas fait, l’important Sorcières, sages-femmes et infirmières, qui est un excellent pamphlet (assumé) sur la santé des femmes — dans le contexte du Planning Familial des années 70. ↩︎
- Je me rends coupable ici d’une légère distorsion historique que ne prend pas en compte les déterminants sociaux (aaaaaah un anachronisme), et notamment que les premières sages-femmes qui ont écrit ces traités était souvent d’extraction aristocratique et écrivait uniquement à l’adresse d’autre sages-femmes et de chirurgiens (étant elles-mêmes souvent marié avec des hommes travaillant dans la médecine ce qui recoupe une réalité totalement différente de ce que vous pouvez imaginer aujourd’hui). Outre la diffusion de l’information, elles cherchaient également la renommée et la thune. Et si Nathalie SP lit ceci, je serai fou de joie de recevoir une correction en commentaire. ↩︎
- Confer la note 1. ↩︎