Pour ma sœur. Pardon.
Le salon est presque vide, comme quand on organisait des fêtes au lycée et qu’on poussait les meubles. Des taches plus sombres sur les murs et les portes montrent l’emplacement des meubles et des tableaux qui ont protégé le papier peint passé de la lumière. L’immense miroir au-dessus de la cheminée donne à la pièce les dimensions d’une caverne.
Je le savais en y allant, mais c’est dur de dire au revoir à l’endroit où l’on a grandi.
Mes larmes coulent doucement. Je tiens ma sœur dans mes bras, et mon épaules essuie les siennes. On souffle longuement pour réprimer un sanglot et se donner du courage. On est là pour le « pillage ». Mes parents sont partis avec les déménageurs la veille, et ils reviennent dans cinq jours pour vider et rendre l’appartement. Ils ont laissé derrière eux des traces et des vestiges. Je mets de la musique pour danser une dernière fois sur l’immense parquet, ma sœur regarde les torchons et les serviettes de table, mon beau-frère mesure une antique radio pour voir s’ils ont une place pour elle chez eux.
Nous sommes les premiers à passer, demain ça sera mes cousins, puis des amis et enfin Emaüs pour récupérer ce qu’il restera. Avec ma sœur on discute des choix de mes parents, étonnés de voir certains meubles ou certaines décorations rester.
Mes parents me raconteront plus tard que les passants se sont servis dans les affaires disposées sur le trottoir, pendant que les bénévoles de l’association chargeaient leur camion. Quelqu’un a trouvé avec joie un immense plan de Paris par Turgot qui ornait le mur de leur chambre, les plantes d’intérieur, les livres dont les bouquinistes n’ont pas voulus, ont trouvé de nouveaux propriétaires.
L’appartement de mon enfance a été dispersé dans une foule d’inconnu, comme des spores. Je sais que ce ne sont que des objets. Ce n’est pas ça le plus dur en fait.
Il y a encore quelques photos au mur, il y a des plats dans le placards. Je m’arrête devant l’entrée de la cuisine. Ma cuisine. C’est marrant d’y penser aujourd’hui. J’ai passé les dix derniers réveillons à y cuisiner avec ma grand-mère. Au fil des plats de fêtes, les rôles de chefs et de commis se sont peu à peu mélangés. Les dernières fois, elle restait sur une chaise, à goûter les sauces, les bouillons, donnant juste son avis sur les assaisonnements.
Bordel cette cuisine.
Dans toutes les fêtes que j’ai organisé ici, les gens me disaient qu’ils s’y sentaient bien, et une contre-soirée se formait fatalement autour de la table en marbre, jusqu’à ce que, à la fin de la nuit, après les derniers métro, les derniers convives assez réveillés s’y retrouvent pour parler jusqu’à petit matin, finissant une bouteille et leur paquet de clopes en mangeant des pâtes.
Je craque. Sur le seuil, à l’intérieur du cadre de la porte il y a encore les lignes que mon père a tracé au crayon pour suivre notre croissance. J’ai grandi ici, c’est marqué sur ce mur.
Dans deux semaines les ouvriers figeront ces traces sous une couche de peinture blanche.
Vous réussissez à parler à chacun de nous, quelque part (:
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Merci
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On ressent votre douleur à chaque ligne. J’espère que vous avez pu passer à autre chose et vos parents aussi.
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