Clémence m’avait dit « je dois décaler mon rendez-vous, j’ai des douleurs en bas du ventre. » Et je lui avait dit qu’elle devait plutôt voir un gynécologue. C’était deux semaines plus tôt.
Et pourtant, on est là, dans mon bureau, avec sa suspicion d’endométriose qui refait parler d’elle malgré son Mirena, son hématurie, son écho qui montre un kyste au rein et à l’ovaire et… « Je ne vais rien pouvoir faire pour vous, vous savez ? Ce ne sont plus mes compétences, là.
— Je sais. »
Je me repousse dans mon fauteuil pour la regarder. On se connaît depuis cinq ans, et je sais que ça ne va pas parce que c’est moi qui lui ai prescrit la première échographie, fait le premier courrier. Elle m’a amené sa fille pour discuter de douleurs de règles, de contraception et de tabac, et on se voit de temps en temps pour un geste technique ou de la bobologie.
On est d’accord avec Clémence pour se dire que je ne peux pas la suivre.
Mais sa sage-femme est plus accessible que le gynéco qui s’occupe de son dossier à l’hôpital. Techniquement 4 mois pour avoir un rendez-vous, la possibilité d’appeler le secrétariat pour avoir un avis quand c’est compliqué, certes ; on ne va pas attendre pour une mycose, une inquiétude sur son sein gauche ou son frottis.
Le problème de ce système d’accès au soin, c’est qu’on est présentement un peu bloqué, Clémence. Vous attendez quoi de moi ? J’ai juste mes petits doigts de sage-femme, des compétences limitées et du temps. Un peu.
« J’ai vu trois médecins en une semaine, j’ai fait deux échographies et une IRM, et j’ai eu seulement un compte-rendu en coup de vent entre deux portes. Y a marqué « kyste », je dois m’inquiéter ? »
Et du coup, je sors du brouillard.
J’ai ce biais cognitif, à force de faire ce boulot, de considérer certaines choses comme triviales, alors que j’ai fait des études spécialisées. Je le dis aux patientes quand elles butent sur les termes pendant l’anamnèse et que je corrige pour moi-même. « Le jargon technique, c’est mon boulot. »
Clémence a obtenu un artefact, après une quête personnelle éprouvante, pour se rendre compte que le vieux sorcier, dans son antre radioactive, lui a filé un parchemin en vieil elfique ou en haut-draconique. Et elle n’a pas pris les bonnes compétences de langue.
Donc elle vient voir un traducteur.
Je crois que c’est une compétence méconnue des sages-femmes, la médiation médicale.
Parce qu’on parle de « suivi de prévention » et de « contraception », mais je me retrouve aussi très souvent à expliquer à des couples pourquoi les archi-spécialistes d’un CHU, qui sont souvent très douées pour expliquer des choses qui dépassent tous les gens qui ne sont pas onco-néphropédiatres — aussi connu sous le nom de : ce rendez-vous pris pendant la grossesse par le diagnostic anténatal pour deux mois après l’accouchement pour vous dire si la petite bouboule sur le rein droit du fœtus est un truc qui craint, ou pas ; pourquoi ce médecin a décidé de vous proposer d’opérer ou pas, ce que veut dire un risque relatif et traduire une page Orphanet.
C’est le moment où je repense aux visites à domicile parfois dédiées à éplucher un compte rendu-opératoire ou d’hospitalisation un peu velu.. Bien sûr que les gens lisent des mots mais ils ne les comprennent pas toujours.
Je prends les imageries de Clémence et j’essaye de faire le tri. Un kyste parenchymateux du rein, c’est grave ? Si j’avais des clichés pour le kyste ovarien, j’y comprendrais davantage quelque chose aussi.
Ce qui semble clair, c’est que l’endométriose va en empirant, et qu’il est peut-être temps de réévaluer le traitement.
À part faire un courrier et expliquer ce que j’ai capté à mon niveau, je n’ai pas l’impression d’avoir fait un boulot de sage-femme. Mais ce n’était peut-être pas ce que ma patiente me demandait.
Un de mes maîtres de stage m’a un jour dit « quand tu ne sais pas quoi faire, quand tu ne te sens pas le bon interlocuteur, demande leur simplement ce qu’ils attendent de toi ». Et ça marche. Parfois ils n’attendent rien. Enfin pas rien. Mais rien pour quoi nous avons été formés. Juste d’être là, cellui qui en qui ils ont confiance, à qui ils peuvent parler, qui prend le temps d’écouter. C’est très important finalement.
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Je dois prononcer deux fois par semaines la phrase « si il y a un endroit où vous pouvez pleurer, c’est bien le bureau de votre sage-femme ».
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