Content warning : on va parler cicatrice et épisiotomie. Désolé.
Quand Cécile vient pour sa séance de rééducation périnéale, je lui demande comment ça va, comme à toutes mes patientes. Puis je lui demande si elle a besoin qu’on parle de sa vulve.
Elle a eu des soins importants sur son périnée après l’accouchement, et le sujet et la cicatrice sont douloureuses. Comme une faille à droite de la vulve, là où la peau tire, où le muscle est moins complet. Du bout des doigts je sens le tissu encore rigide, et je sais qu’un des remèdes les plus efficaces sera le temps.
C’est dur pour elle.
J’étais passé après son accouchement, dans son trois pièces parisiens.
Le début de ma première visite avait été mangée par l’allaitement. On avait patiemment corrigé la position de tout le monde, l’ouverture de la bouche de sa fille, et, après dix minutes, elle était satisfaite.
Le temps d’une tétée, on a pu parler de son accouchement.
De sa confiance dans l’équipe pendant le travail. Elle s’était sentie très respectée et joyeuse jusqu’au changement de garde où une intérimaire était arrivée. Tout d’un coup l’ambiance avait changé, la sage-femme ne parlait plus, et malgré un accouchement simple sur le papier, Cécile et son chéri avait été un peu déçus.
« J’ai mal à ma cicatrice » m’a-t-elle dit « est-ce qu’on peut regarder ? »
Nous avons attendu que la demoiselle joufflue à son sein s’endorme et s’abandonne dans le sommeil, et nous nous sommes installés dans sa chambre.
« Elle est un peu tendue votre épisiotomie, lui ai-je dit. Je pense qu’il y a un point ou deux qui sont un peu serrés, mais c’est tôt pour faire quelque chose. Quand je repasse après-demain par contre… »
Mais je n’ai pas eu d’épisiotomie. Elle a recousu, mais elle m’a dit qu’il y avait juste une petite déchirure.
Ah. Je ne sais pas trop comment le dire, alors. Parce que des cicatrices, dans ma vie, j’en ai vu des tas, et quelque chose d’aussi droit avec un trajet aussi spécifique, ça ressemble quand même fort à une épisiotomie, quand même.
Elle ne m’a rien dit. Mais c’est vrai qu’on a été choqué de l’accouchement, les sages-femmes de suites de couche se sont excusées pour leur collègue, la cadre est venue nous parler…
Je pense à mes deux pieds que je viens de mettre dans le plat.
J’explique à la patiente que j’ai le devoir de rester confraternel, et qu’il faudrait être une sacrée connasse pour faire une épisiotomie à une patiente sans la prévenir, au mépris des recommandations, et pour mentir ensuite sur le compte-rendu qui note bien « déchirure périnéale du 2ème degré ».
Je les laisse un peu choqués, à réfléchir à cette nouvelle donnée, et je reviens deux jours plus tard. Elle a mal et, quand on regarde ses points, on se rend compte qu’il n’y a plus rien à retirer. La plaie s’est rouverte, et ce qui devait être une visite pour mettre du miel sur ses blessures s’est transformée en prescription de soins locaux. Une infirmière qui viendra quotidiennement, et longtemps.
Ça évolue souvent de façon favorable, mais ça se voit. Ça se verra.
Elle sent sous ses doigts son sexe qui a changé. Maintenant il faut qu’on travaille sur son image corporelle et ça, ça, prend du temps.
Mais ce qui la met en colère, c’est la sage-femme qui l’a coupée. On avait parlé du geste en préparation à la naissance, des recommandations, du consentement ; elle était arrivée à la maternité préparée à cette idée. S’il le fallait.
Et je pense que l’équipe a été choquée aussi.
Quand je repense au moment où j’ai commencé mes études, il y a 15 ans…
Je peux dire des phrases comme « au moment j’ai commencé mes études, il y a 15 ans… » et c’est tout bonnement terrifiant car je suis sage-femme depuis un tiers de ma vie.
Il y a 15 ans je voyais souvent des sages-femmes couper des vulves.
Aujourd’hui le taux d’épisiotomie a baissé, les maternités où les statistiques sont élevées sont regardées avec inquiétude — toutes les femmes de la génération de ma mère en ont eu une pour leur premier accouchement, ce n’était même pas un sujet. Les recommandations parlent de « rechercher le consentement » après avoir informé, et les indications du geste se sont réduites comme peau de chagrin.
Certaines de mes premières tutrices de stage avaient le geste élégant, le coup de ciseau entre leurs deux doigts. Elle mettait une compresse, sortait la tête, puis les épaules, et une fois l’enfant sur le ventre de la patiente elles disaient : « par contre, j’ai dû couper, hein ». Tout le monde trouvait ça normal, je trouvais ça normal avec mon absence de recul.
Quinze ans semblent une durée suffisante pour dire que j’ai vu les pratiques évoluer autour de la naissance. En mieux, j’espère.
En mieux sans doute, mais pas encore assez visiblement.
Cette expérience de votre patiente le montre bien, hélas pour elle, et honte sur l’équipe qui non seulement a laissé faire, mais en plus a couvert la faute (car c’en est une, indéniablement) par un faux sur le compte-rendu !
Cette jeune maman a été mutilée, sait-elle qu’elle est en droit d’engager une action juridique contre la maternité ?
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Le compte rendu est celui de la personne qui a fait le geste et la maternité est consciente, je pense, des problèmes que pose cette professionnelle.
Et nous avons discuté avec cette femme des options qui s’offraient à elle pour gérer ses difficultés corporelles, son chagrin, sa colère et les problèmes liés à un trauma ; cela ne vous regarde d’ailleurs pas.
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Désolée, je ne voulais pas être intrusive ou indiscrète. Mais j’ai tellement d’amies qui ont subi cette violence systématique dans les années 90 et 2000, ça me révolte de voir que ça peut encore exister, après tout ce qu’il a fallu batailler pour que ça cesse.
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Je sais. Et ça baisse.
Et quand il y a des episio ça se passe dans des conditions très claire maintenant. En 15 ans on sent vraiment une différence !
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