Note pour plus tard :
J’avais oublié ce que ça faisait de dormir aussi mal et aussi peu. Ma tante nous avait prévenu qu’on oublierait.
Ce n’est pas le réveil pour aller bosser qui me tire de mes draps, mais des vagissements qui viennent du cododo. Il est trop tôt, de toute façon, vu comme mes paupières crissent, papier de verre sur mes globes oculaires. Ni elles, ni moi ne voulons nous lever. Il est potentiellement en fait 6h du matin, c’est n’est plus le premier réveil, et la nuit s’achève ainsi.
Le souvenir des deux dernières années persistait, comme une théorie. Pour moi c’est la preuve qu’on retient finalement le meilleur. Pour en parler avec mes couples en préparation à la naissance, pour avoir l’air sincère, il faut que je grave cette fatigue au fond de mon cerveau.
Cet épuisement, la frustration, la colère, l’irritabilité irraisonnée qui jaillissent contre un bébé qui n’y peut pas grand-chose. Il nous hurle dessus qu’il a besoin de nous. Il faut que je me rappelle cette sensation pour mes entretiens post-nataux, ou quand les jeunes mamans sont en retard, arrivent derrière leurs cernes et leurs demi-sourires.
J’en ai parlé avec Justine, une patiente dont j’ai totalement modifié le prénom, pendant sa deuxième grossesse. De son mec qui a fait un début de dépression du post-partum — je m’étais tellement retrouvé dans ce récit. Son expérience est celle de nombreux parents, ceux qui ne comprennent pas pourquoi leur enfant, contrairement à celui de leurs copines, ne fait pas ses nuits à 2 mois. Il se réveillait beaucoup, dit-elle, ne dormait pas dans son lit et on n’a jamais vraiment trouvé de problèmes. Est-ce qu’on peut faire quelque chose pour la prochaine fois ? Qu’est-ce qu’on a loupé ?
— Peut-être juste le fait qu’un enfant sur dix a encore des réveils alimentaires à 18 mois.
Justine grimace.
J’aurais aimé le savoir avant. J’ai vu mon lot de charlatans. L’argent est moins un problème quand on se fait un sang d’encre. Je me suis fait des cheveux blancs à force de voir mon mec frôler la ligne de la violence après deux heures de portage, quatre mois à ne pas dormir, les lombaires en compote, les bras tétanisés à force de bercer au creux de son torse un bébé de huit kilos.
Je repense à l’étudiant sage-femme qui pensait que personne ne serait assez débile pour en arriver à secouer un bébé.
J’ai un sourire triste en pensant à ma chérie qui a écumé les groupes Facebook dédiés au sommeil des enfants, histoire de relativiser. Ils fourmillent de conseils et de techniques plus ou moins homologuées ; les noms des coachs spécialisés circulent entre parents épuisés.
Truc, dont l’enfant ne dort pas depuis 6 mois, a essayé l’ostéopathe. On lui a dit « qu’il y avait une vertèbre qui tirait et faisait un reflux interne »1, et, après 2 séances à 80 € et l’éviction des protéines de lait de vache, il a l’impression que ça va mieux.
Bidule a vu un kinésiologue, et il a résolu le problème lié à une « tension émotionnelle latente liée à son stress pendant la grossesse et à son déclenchement »2 du bout des doigts. Son bébé dort un peu mieux, peut-être, mais elle culpabilise d’avoir été aussi nulle.
Après beaucoup d’errance, Machine est arrivée chez un chiropracteur qui lui a parlé « d’un frein de langue qui empêchait la respiration de se faire bien »3 et qui les a dirigé vers un centre spécialisé avec sage-femme, chiro et ORL pour le couper.
Au-delà de tout les coussins miracles, des méthodes 5-10-15 revisitées en langage quantico-holistique, des consultations hors de prix, le message qui ressort de toutes ces discussions c’est que le temps arrange les choses. Mais c’est long.
« T’avais de beaux cernes sur cette photo de juillet 2021, comme aujourd’hui, après des heures dans les bras à balader un poupon ronchon » je garde cette photo quelque part pour ne pas oublier, tant les mauvais souvenirs disparaissent.