« Vous avez bien de la clim’, hein », affirme ma mère, depuis le siège passager avant. Pas trop, non, pousse la grille vers la gauche. Plus en haut. Un peu plus fort. Ma fille dort dans son trône de voiture pour petite-fille préférée, nous sommes tassés de part et d’autre, cramponnés aux poignées de maintien. Le mois de juin est déjà chaud. Mon père jure sur la route, je lui dis que ma fille comprend tout, il corrige. « C’est de la merle ce carrefour, c’est qui ce flûtain d’ingénieur qui nous a pondu un rond-point pareil, vas-y t’embête pas ! espèce de moule à gaufres ! »
On va où aujourd’hui ma puce ? « Voir les Mimaux ! » Ses yeux pétillent pendant qu’on l’extrait dans son siège auto. Elle a dormi de La Rochelle à Royan. On la cale dans la poussette, le temps de faire le trajet du parking vers l’entrée de la Palmyre, je prends le bras de ma mère pour la soutenir le long de la route, et, d’un coup une puanteur nous atteint le fond des sinus. « Les Maman roses » crie ma fille. Ma chérie la libère et elle court vers la barrière de l’enclos. Un écriteau nous apprend que les mamans roses sont en période de nidification, qu’ils construisent un certain nombre de monticules de boue, et que le parc s’excuse à l’avance pour l’odeur plutôt agressive. La demoiselle m’attrape par la main et me traîne. « Papa, les Guirafes !
— Tu as vu les lions ? dit son grand-père.
— En attendant, j’aimerais bien qu’on trouve des toilettes, répond ma mère. Ma chérie et son ventre arrondi opinent.
Va pour la buvette et leurs toilettes.
Un paon en liberté nous craille dessus un Léon depuis un arbre. Je m’arrête une seconde, interdit, parce que je n’imaginais pas qu’on truc aussi massif puisse tenir sur une branche aussi fine, mais on me tire par la ceinture « Potame ! Potame ! » Tout à l’heure les potames.
« Elle dort en ce moment ? », demande mon père. Le sommeil a toujours été notre plainte principale, mais étrangement, alors qu’on a changé d’hébergement deux fois, et qu’elle n’a pas son lit habituel, on ne peut pas s’en plaindre.
On est installé en terrasse avec des boissons à la caféine pour tenir l’absence de sieste. Mon père essaye des trucs maladroits pour relationner avec ma fille. Ma mère explique sa kiné du genou à ma compagne.
Mes parents sont partis de Paris pour leur retraite au mois de mars, à un moment où les relations se sont tendues avec ma sœur. On essaye de faire comme de rien, de passer par-dessus. Les sujets deviennent superficiels, mais est-ce qu’ils ne l’ont toujours pas un peu été ? Mon père essaye de rattraper leur manque d’implication des deux dernières années, à prendre comme acquis que je leur amène leur petite fille à la maison, sans interroger les cernes sous mes yeux, disputant parfois la demi-heure de retard et les petits-fours qui sont trop cuits, sans se demander pourquoi ma chérie est presque toujours de garde, ou la raison pour laquelle je ne veux pas qu’on parle de ma sœur.
Ma fille s’en fout, de cette tension, de ces non-dits qui minent nos conversations. « Sont où les potames ?
— Ça va en ce moment, je réponds. On y va ? »
Ma mère se redresse en s’appuyant sur sa canne, ma gamine part comme une flèche, et nous sommes en route pour voir les potames et tous leurs copains : les fennecs, les rennes, les guépards, les céros, les néléphants et leurs fesses qui la font marrer. Elle a peur quand l’autruche vient lui chiper un bout de galette entre les doigts ; elle regarde, interdite, une chimpanzée derrière la vitre, mettre son bébé au sein ; elle tape des mains en voyant les zèbres et les zoizos ; sursaute quand la loutre géante vient frôler la vitre du bassin contre laquelle elle s’est appuyée.
À la fin de la journée, tout le monde dort dans la voiture, ma mère parle de l’organisation pour demain et mon père râle sur le GPS qui dit n’importe quoi.
Rohlala oui, la lourdeur sous-jacente des échanges avec les grands-parents…
Des fois, ça s’arrange.
On fait au mieux.
J’aimeJ’aime
En vrai, depuis, ça s’arrange. Ils découvrent la retraite et rentre dans leur rôle de grands-parents progressivement. Je pense que la naissance de notre 2eme leur a fait beaucoup de bien.
J’aimeJ’aime