Je suis arrivé devant chez Scylla. Ils étaient 5 à fumer des clopes et à boire un café sur la terrasse devant la confidentielle librairie. « C’est là, a demandé mon beau-frère, j’aurais pu passer devant sans m’en rendre compte.
— Oui. Ça fait 15 ans que je viens là. Enfin.
— Mais quel genre de librairie ouvre 2 jours par semaine, et sur rendez-vous en plus ? »
J’ai laissé un sourire mystérieux courir sur mes lèvres, celui de « ceux qui savent ». J’avais trouvé l’adresse dans une publicité, un post-it photocopié dans un exemplaire d’un Bifrost, la revu du Belial.
C’était un samedi, chez ma sœur, à côté de Nation. Leur immeuble était vraiment bien placé pour aller vers la coulée verte et le jardin de Reuilly. Une bonne occasion pour laisser ma fille gambader dans le parc et tenter de voler le ballon des autres enfants. Pour une fin d’avril, le temps était sublime. « Il faut que tu trouves un cadeau pour mon frère, c’est son anniversaire » m’avait dit ma chérie.
La discussion sur la terrasse improvisée s’est interrompue, j’ai croisé le regard du libraire. Il a eu un air un peu interdit, puis son visage s’est éclairé. « Salut ! Ça fait longtemps non ?
— 10 ans. Je crois. » J’ai ri bêtement. « J’ai eu quelques péripéties en cours de route.
— J’ai rien pour son âge, hein » a-t-il dit en désignant ma fille dans sa poussette « Attends, je vais t’ouvrir ».
Nous avons laissé les autres dehors et nous sommes entré dans la minuscule boutique.
La première chose qui frappe, c’est l’odeur. Tout d’un coup, le papier poche, la poussière un peu, les cartons de livraison. Il y a des livres du sol au plafond, et pour l’avoir fait déjà chercher quelque chose dans sa boutique, il y a d’autres bibliothèques derrière les bibliothèques, qu’un système de rails permet de permuter. Il y a des classiques, des neufs, des occasions. Il avait déjà quelques livres sortis, je l’entendais déjà dire : « Il est très cool et l’édition est vraiment belle, tu sais. C’est un petit tirage, en plus. », parce qu’il connaissait mon côté collectionneur. Les épais volumes de fantasy me faisaient de l’œil. Certains de ces livres étaient déjà sur ma pile à lire.
« Il y a le nouveau Jaworski qui est sorti. La dernière fois tu avais pris Même pas mort, non ?
— J’ai pas accroché », mentais-je, malgré moi. J’ai fait glisser mon doigt sur les dos chamarrés d’anthologie de science-fiction des années 80.
« J’ai plein de clients qui m’ont dit qu’il fallait rentrer dedans. Tu as envie de quoi ? » Il a commencé à me décrire les livres, les histoires. Il m’a posé des questions. Son visage s’anime avec passion dans ces moments-là.
« Aujourd’hui, je ne suis pas là pour moi, mais pour mon beau-frère. Il aime beaucoup… »
Je me suis détendu, tout en empêchant ma fille d’attraper trop de livres dans la boutique. Un peu comme de revenir à la maison après un voyage. C’était doux et familier. On a parlé de ce que j’avais manqué, un peu du monde de l’édition, un peu d’écriture. Puis j’ai réglé et j’ai mis mes achats sous la poussette.
« Bon, et bien, à la prochaine !
— Avant 10 ans, on va essayer. Ta boutique est loin de chez moi et de mon travail, mais j’ai ma sœur pas loin. Je risque de passer un peu plus souvent.
— Au fait, tu lis quoi en ce moment ? » Il désignait mon tote bag.
Le Prieuré de l’Oranger de Samantha Shannon.
Je finissais le deuxième tome du Prieuré de l’Oranger de Samantha Shannon, en format poche, pour couper en deux quasiment 1200 pages de dragons, de fin du monde et d’intrigues de cour.
Comment suis-je arrivé au Prieuré ? C’est une trop longue histoire pour aujourd’hui.
Donc c’est l’histoire d’un monde coupé en plusieurs royaumes et factions, mais essentiellement en deux parties, isolées l’une de l’autre depuis mille ans : l’Ouest avec ses chevaliers, sa courtoisie, sa lignée matrilinéaire qui, selon le dogme, maintient à distance le réveil d’un dragon de flamme qui ravagera le monde ; l’Est avec ses traditions millénaires, ses dragons d’eau bienveillants et son inspiration japonisante.
C’est un récit choral avec beaucoup de personnages. Ead, une magicienne, infiltrée parmi les dame de l’antichambre, qui doit protéger la reine de l’Ouest Sabran. Tané, future monteuse de dragon d’eau, au passé trouble. Loth un noble, ami d’enfance de Sabran, contraint à l’exil. Roos savant exilé au « japon », en disgrâce auprès de la cour de l’Ouest.
Les personnages que l’on suit offrent tous des points de vue éclairants sur l’intrigue, mais il y a des stars.
Ce sera mon reproche principal au roman.
L’histoire d’Ead et Sabran, et les intrigues de cour autour d’elles, resteront nettement au-dessus du lot pendant une large partie de l’histoire, au point qu’un passage avec Tané ou Roos nous laisse assez froid. Un peu comme dans A Song of Ice and Fire, il y a des points de vue que seront vite mis en place, mais qui ne deviendront intéressants que dans la longueur.
On se doute un peu qu’ils finiront tous plus ou moins réunis dans la même pièce au moment de la fin du monde, et un des attraits du roman est évidemment le voyage et l’exploration de cette carte immense qu’on nous dévoile au début de l’ouvrage.
Je préfère par contre prévenir : Shannon aime beaucoup ses personnages, ils ont chacun un arc narratif très fouillé. Même Roos, ce vieux bougon vénal a droit à un arc de rédemption presque sympathique. C’est donc au terme d’intrigues, de discussion sur la tolérance (religieuse, LGBT), de très nombreuses péripéties, que tout ce petit monde se souvient, 90 pages avant la fin, qu’un dragon géant va vaguement sortir de l’océan pour détruire le monde et qu’il faudrait peut-être y faire quelque chose.
On m’avait vendu des dragons et de la high fantasy, et j’ai été servi. Il y a une grande diversité culturelle (à part les natifs américains, je crois qu’on a tout le monde), et un bestiaire de vouivres, coquatrices, dragons mineurs… D’ailleurs, si j’ai mis du temps à rentrer dans le premier tome − parce que Shannon passe les 150 première pages à faire référence à des dizaines de lieux, personnages et concepts, ça s’améliore nettement avec les répétitions. Comme beaucoup de romans de ce type, surtout quand on s’éloigne un peu du médiéval fantastique attendu, le démarrage peut s’avérer aride.
Quand j’ai recommencé à lire, je ne m’attendais pas à trouver cette histoire sur mon chemin, mais avec ses idées, son incroyable romance, et son univers, je suis très heureux de l’avoir croisé.
Photo de Norbert Tóth sur Unsplash
Merci pour ce partage ! (Par contre je ne vois pas de photo…🤔)
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C’est étrange.
Normalement il y a une photo de couverture. Est-ce que vous attendiez une autre illustration ?
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Je m’attendais à une illustration mais je n’en vois pas ):
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