Comment est-ce qu’on reprend le quotidien ?
Un centimètre.
Un centimètre plus bas et je me lançais dans un massage cardiaque, dans une cage d’escalier, avec le Samu au téléphone. Parce que l’EP, après la forme massive, c’est parfois la « mort subite ».
Je ne sais pas si savoir ce qu’on a évité me rend heureux.
Peut-être que c’était mieux de l’ignorer.
Peut-être que le fait que tu m’expliques après qu’« en plus, au niveau statistique c’est l’arrêt cardiaque avec le plus d’échecs réanimatoires », ne m’a pas aidé à digérer les choses.
J’ai fait des cauchemars.
C’est normal.
J’ai raconté, encore et encore cette histoire : A mes patientes les plus proches et disponibles, à Stan, à Hélène, à mes collègues.
À l’oral. Zoé aussi. Taire quelque chose d’aussi fort m’a semblé vite impossible.
Au bout de deux semaines j’arrivais à ne plus pleurer en y pensant. Au bout d’un mois j’ai commencé à pouvoir en rire, presque.
Maintenant on arrive à faire des blagues dessus. Chacun son coping.
Le cerveau humain est quand même un organe incroyable.
« Tu vas bien ? » me demande une collègue psychologue.
Non.
Je ne vais pas bien.
Je suis en stress post-traumatique, je frôle le burn-out.
Mais je n’ai pas le temps d’aller mal.
Je sers les dents, je me lève tôt, je gère.
Heureusement tu as un suivi exceptionnel.
Un privilège toujours : connaître des médecins, avoir des collègues sur qui on peut compter, tout cela permet aussi d’accéder à des ressources précieuses dans un système de santé qui s’effondre. On est dedans, on est au courant.
Il y a tellement de professionnels qui font un travail incroyable et qui n’ont pas la moitié de la reconnaissance qu’ils méritent.
Les internistes se demandent pourquoi ça t’es arrivé.
Des antécédents familiaux, un contraceptifs oestroprogestatif, une infection…
Les vasculaires bottent en touche. Deux grossesses sans incidents thromboembolique ? Dans 70% des cas on ne trouvera pas de cause évidente ; la réalité de la médecine c’est des trucs nuls arrivent à des gens qui n’ont rien demandé, qui font les choses bien, qui ne boivent pas, ne fument pas. L’hypothèse la plus probable est qu’une série de facteurs ont fait boule de neige.
Pendant ce suivi on a compris que c’était grave. Tu m’as raconté la consultation spécialisée qui reprenait tes imageries. Un centimètre.
La médecine moderne fait oublier les drames du passé.
De temps en temps je croise une vidéo d’histoire de l’art qui parle de Paula Modersohn-Becker, morte d’une Embolie Pulmonaire au détour d’un premier accouchement. Elle est restée trop longtemps allongée, elle a fait une phlébite, elle s’est levée ; c’était il y a 120 ans.
Notre vie a changé définitivement.
Peut-être un peu dans le bon sens ? C’est la fable Taoïste du paysan et du cheval.
Tu as repris le sport, tu changes notre alimentation : moins de viande rouge, plus de légumineuses et de fibres. Un régime cardioprotecteur.
La charge mentale alimentaire a augmenté, mais si on en parlait avec la Zoé de l’année dernière, c’est le jour et la nuit.
Moi j’aime te faire à manger plus varié et en redemander.
Je me suis effondré un jour sur le quai du train pour Nanterre, début novembre.
Porter le poids du monde sur ses épaules, ça ne marche qu’un temps.
La façade craque toujours, la fatigue abrutit. Je ne suis pas Atlas, et même lui a laissé sa charge à Hercule une journée pour se reposer. Tu m’as aidé à rééquilibrer le quotidien, tu vas de mieux en mieux.
J’aime qu’après 13 ans on soit toujours une équipe.
Affronter tout ça n’était pas sur mon bingo pour l’année 2025, mais les choses vont mieux.
Merci à toutes les personnes qui nous ont envoyé des messages et qui nous ont soutenu.
J’ai failli me brûler. Heureusement entre l’associatif, l’hôpital et le libéral, j’ai appris à reconnaître ma limite.
Il me reste maintenant une crise existentielle sur les bras.
C’est fou, comme le cerveau se raccroche au narratif qu’il peut.
Je ne sais plus si je crois en quelque chose.
Il n’y a pas de justice, il y a du hasard. Et des mécanismes internes qui construisent une histoire autour pour y faire du sens.
Merci de l’avoir lue.
L’important, pour l’instant, c’est qu’on est ensemble et qu’on est vivant.
Pour encore longtemps.
C’est toujours aussi bon de te lire.
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Merci de toujours me lire
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Soutien pour te remettre de cette peur immense.
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Merci. Ça va mieux. J’ai eu un stress post-traumatique mais c’est parti. Comme souvent heureusement !
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