J’ai ouvert la porte sur la salle d’attente. Ma patiente était recroquevillée sur un banc, ses deux copines au-dessus d’elle. « Tu peux le faire, ça va aller, lui dit Aramis1, il ne va pas t’examiner hein.
— Pourquoi faut-il que je sois pourvue d’un vagin, dit tout bas Porthos, je n’aime pas les médecins, mais un médecin pour ça…
— Il est sage-femme, corrige Athos, et vous allez juste discuter non ?
— Laquelle d’entre vous est ma patiente ? » je demande, et à ces mots Porthos s’enfonce dans l’inconfortable banc, proche de l’horizontale. Si elle avait pu changer de couleur pour se fondre dans le linoléum, je n’en aurais pas été si surpris.
« Est-ce qu’on peut venir avec elle, propose Aramis ? Je crois qu’elle… Allez, on vient avec toi ! Tu vas voir ce n’est pas méchant. »
J’ai presque envie de rire, mais je me retiens. Reste professionnel Étienne. « Je vous attends dans mon bureau quand vous êtes prêtes. »
Trois Mousquetaires entrent dans mon bureau. Porthos se retrouve poussée dans la pièce par ses deux compagnes, Athos ferme la marche puis la porte. Elles se répartissent les sièges, et Porthos prend le tabouret au milieu de la pièce. « Vous ne voulez pas approcher ? On s’entendra mieux.
— Déjà je suis là. C’est pas si mal. » Engeance du démon, a-t-elle l’air de penser. Je cumule en effet deux défauts à ses yeux : je suis un sage-femme, et je suis un sage-femme. « Comme vous voulez. Qu’est-ce qui vous amène ?
— Elle a des règles douloureuses et elle a commencé une contraception hormonale, commence Athos.
— Et elle saigne alors qu’elle la prend en continue, dit Aramis. Moi aussi ça m’est arrivé.
— Peut-être qu’elle peut parler toute seule non ? je remarque.
— Comme elles ont dit, glisse seulement Porthos.
— Bon. Reprenons. »
Les trois Mousquetaires entre dans un débat pour savoir quand étaient les dernières règles de Porthos. Quand je lui demande si elle a déjà eu des partenaires, elle me regarde comme si j’avais salit l’honneur et la réputation de l’ensemble de la maison du roi de France. « Ça c’est Athos qui fait ça, dit-elle. Rien que d’en parler…
— Mais nous, on se voit la semaine prochaine », botte en touche Athos.
Je pose quelques questions supplémentaires, je fais part de mes interrogations et de mes hypothèses. Mon bureau est une barrière qui rassure Porthos. Elle semble moins subir la question. Je n’ai pas de spéculum entre les dents, j’ai juste sorti mes stylos et je commence à faire des dessins d’utérus, d’ovaires et de trompes. Je créé un terrain fertile pour la discussion qui commence.
Mes Trois Mousquetaires rebondissent, se renvoient la balle.
Une sorte d’atelier-discussion émerge de la consultation, un moment d’échange. Je fais quelque chose qui n’arrive normalement pas : j’ai le temps, alors je laisse le cadre exploser. Ça m’arrive parfois à Nanterre d’avoir des créneaux libres et de pouvoir laisser du temps à mes patientes. De moins en moins souvent, avouons-le, mais toujours plus qu’au cabinet. De temps en temps, dans leur discussion, elles se tournent vers moi pour avoir une information manquante ou me poser des questions. On dérive de Porthos pour parler d’Aramis ; Athos pose une question contraception parce qu’on parle de traitement hormonaux et relance le débat.
À la fin Porthos a trouvé une solution qui lui convient.
Moi, ça m’a confirmé mon envie d’organiser des ateliers et des groupes de discussion sur les questions de santé sexuelle.
J’ai revu mes Trois Mousquetaires pour leurs problématiques à chacune. Quand je vois un de leur nom sur l’agenda, je sais qu’elles seront trois en salle d’attente.
Une pour toutes, et toutes pour une.
- Ne posez pas de questions. J’ai juste trouvé ça marrant. ↩︎