« Non ! Numéro Deux !1 » résonne mon cri alors que je bondis du banc.
Je le rattrape à une dizaine de centimètre du drame, devant le regard médusé que quelques touristes. Il proteste vigoureusement, bien sûr, vocalement : « Non Papa ! Papa ! Nalenalenale. »
Mes dimanches, récemment, semble consister à éviter qu’un enfant de deux ans se jette de tout son poids sur un coffre Nanban du XVIème siècle. Ou sur une pirogue « polynésienne, acquisition d’origine douteuse », une sculpture d’art contemporaine ou un reliquaire en bois sculpté du XIème siècle. À côté de ça, j’essaye de profiter des visites.
Depuis la rentrée, et les quelques péripéties que nous avons traversées, nous sortons plus souvent à Paris. Il y a de nombreux musées et des tarifs très attrayants pour les enfants. Souvent l’entrée est même gratuite. Avoir des week-ends tous les quatre nous a beaucoup aidé. Ma chérie a embrassé l’organisation des sorties. Elle a les publicités ciblées sur les réseaux qui lui tombent dessus ; quand j’ai une idée elle me dit que ça fait trois semaines qu’elle est sur le dossier. Ma fatigue mentale, le rythme du quotidien, ne m’aident pas à me projeter.
La plupart des musées ont l’avantage d’avoir un accès pour personne à mobilité réduite, ce qui aide parce que Numéro Deux jouit encore du droit de se déplacer en poussette. Il tente de s’en extraire assez régulièrement quand même. « Marcher, marcher » crie-t-il frustré « Je veux courir de façon aléatoire à l’autre bout du musée pour endommager des objets inestimables. » Le gérer remplace la salle de sport.
Avoir des enfants dans l’espace public reste un défi tant rien n’est fait pour eux. Les vitrines de l’exposition manga au musée Guillement n’ont pas de marchepieds ; les coffres du musée de Cluny pourrait presque nous inviter à nous asseoir, s’il n’y avait un écriteau à côté, une fleur séchée posée dessus qu’il ne verra même pas, et des gardiens plus ou moins en confiance. Je ne vous parlerais même pas de la surveillante d’un musée à Vannes qui nous avait réprimandé parce que mes enfants faisaient du bruit. Ils s’amusaient, criaient un peu… Ils ont 2 et 4 ans, qu’est-ce que vous attendez d’eux ?
On remarque quand même que certaines institutions font des efforts assez incroyables pour les enfants en bas âge. J’ai une place dans mon cœur pour le Palais de Tokyo — pas le MoMA de Paris — et pour le musée du Quai Branly. Ils proposent souvent des activités dédiées aux plus jeunes dans les expositions, et une tentative de médiation parfois très adaptée à leur âge.
Le fait de galérer avec une poussette octroie parfois l’accès à l’envers du décor.
La recherche d’un ascenseur nous a même ouvert involontairement l’entrée de la Basel Art Paris.
Nous étions à une exposition de feu le Palais de la Découverte2 et on sortait des vestiaires à la recherche d’un ascenseur. Monter au rez-de-chaussée nous a amené dans une sorte de local technique avec des hôtesses de l’air de Qatar Airways qui nous ont dévisagé, choquées. Nous sommes arrivé à l’étage du dessus à cause de deux femmes à l’âge indéchiffrable qui, a priori, cherchait des toilettes. On s’est retrouvé au milieu du stand LVMH dans une expo d’art contemporain.
Ce n’était pas fait pour les enfants. Numéro Deux a voulu sortir de sa poussette pour toucher à tout ce qui lui passait à portée. Déjà qu’un coffre japonais doit être cher, mais là je n’ose imaginer le montant de la facture en cas de dégâts.
Ce n’était même pas fait pour les gens comme nous. Nous avions heureusement mis des vêtements acheté par ma mère aux enfants — c’était eux les mieux habillés — et, à la rigueur, nous pouvions se faire passer pour des artistes exentriques, perdus, noyés dans un océan de richesse3. Nous sommes sortis par l’accès VIP, car c’était comme ça que sortaient les gens à mobilité réduite.
Le hasard d’arriver quelque part parce qu’on est en poussette peut-être fascinant.
- Bon, pour des raisons évidentes, vous n’aurez pas ici le prénom de mes enfants. Donc il aura un numéro. ↩︎
- Est-ce que j’ai pleuré en voyant le hall vide, les expositions disparue ? Oui. C’était mon enfance à moi. ↩︎
- Car la différence majeure entre un hipster et un clochard à Paris tient globalement à la couleur de la carte platine dans son portefeuille. ↩︎