« La dernière fois que je suis venu, c’était il y a 6 ans. Vous avez fini les travaux non ? »
L’entrée a changé, les murs aussi. La peinture bleue pastelle du couloir n’était qu’un mur d’enduit blanc, laissant apparaître les dominos des prises.
L’histoire de nombreux couples de Parisiens, qui, à l’arrivée du premier enfant décident d’acheter un nid douillet, et qui emménagent au milieu des travaux avec un nouveau-né. J’ai une sorte de double vue : j’ai le souvenir, étrangement, de l’emplacement d’une salle de bain que je ne reconnais pas, d’une chambre qui est en fait un salon et… Je me gratte la tête et je ris un peu bêtement. « Vous voulez un café ? » me demande le chéri, et j’accepte parce que mes nuits sont courtes, et je sais qu’il aime préparer le café.
Je pose mon sac, je sors mon lutin et « comment ça va, Amélie ? »
Lundi dernier, Amélie m’a mis un message pour me dire qu’elle avait accouché pendant le week-end. Rien ne le laissait présager, vu le terme et la consultation. J’ai épluché le dossier et mes souvenirs… On s’était vu en consultation le samedi.
Le samedi soir j’ai eu de la fièvre et des frissons, d’un coup, je n’ai pas compris pourquoi, et quand je suis arrivée aux urgences j’avais des contractions. Ils ont dirigé le travail, j’ai eu une péridurale et comme il n’allait pas bien…
Elle a un sourire triste, fataliste. Elle m’a demandé de passer retirer ses agrafes. C’est une visite à domicile où le bébé est en réanimation. Je n’ai même pas pris ma balance.
On s’installe donc dans la chambre, « je ne vais pas trop vous retenir, je sais que vous avez du monde », mais j’ai dégagé un peu de temps. Il nous en faut un peu.
« Ça fait peur ?
— Un peu, dit-elle avec appréhension.
— Vous allez voir, ça a l’air pire que ça ne l’est. Ça va être froid. C’était une surprise non, cette césarienne. Je retire la première agrafe.
Je la vois se détendre sous la pince.
— Oui totalement. Mais vous vous souvenez, Louise était aussi un peu prématurée. Ça a piqué un peu.
— Désolé. Il en reste trois. Vous voyez ça se passe bien. La prochaine est peut-être un peu méchante…
— Ça va. C’est vrai que j’avais accouché par en bas la première fois. Je n’avais pas vraiment pensé à une césarienne.
— C’est fini. Ça va pour les piqûres ?
— Oui. Mon chéri me les fait. » J’acquiesce. Je ne vais pas vous prendre trop de temps non plus, j’imagine que vous avez un petit moineau à aller voir en réanimation.
Elle a un sourire tendre. Oh mais je ne vous ai même pas montré de photo.
Il est là, sur le téléphone, avec ses lunettes d’oxygène, sa perfusion, ses électrodes de scope et son bonnet en jersey trop grand, dans son petit nid de langes et d’alèses qui lui tiennent chaud. Un petit oiseau tombé du nid dans une couveuse toute chaude. J’ai quelques échos incertains de stages en réanimation néonatale. La transpiration sur la casaque en posant des cathéters ombilicaux, les matinées à discuter avec l’interne en équilibrant les perfs, les après-midi avec les puéricultrices à faire le tour des soins.
Ceux qui restent, ceux qui partent, ceux qui s’accroche parfois trop…
Ça va être long, mais si vous avez besoin n’hésitez pas. On se revoit dans pas longtemps hein ? Je sais, dit-elle, au moins un mois, peut-être un peu plus. Mais on a la rentrée de Louise, les courses à faire, le linge… On va se relayer et ça va aller.
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