J’ai commencé ce lundi avec un agenda troué, et puis la prise de rendez-vous en ligne m’a fait perdre le fil. Je ne sais plus qui a déplacé son rendez-vous, qui a pris sa place en profitant de la file d’attente ; les nouvelles patientes sont indiquées par un sigle, et je sais que celle de 16h vient pour la première fois.
Quand je lui ouvre la porte, je suis en retard. Assez pour m’excuser avant de lui souhaiter la bienvenue. Elle entre, s’assied sur la fesse droite, je referme la porte, je me lave les mains, et je change l’alèse. Donc j’ai une grosseur au niveau de ma… De Mon… Bref. Vous voyez, dit-elle, en désignant les régions inférieures, pour poser l’ambiance de l’examen. Je n’ai pas vu de gynécologue depuis longtemps… Mais mon médecin généraliste me suit ! Je suis célibataire donc je ne pense pas que ça soit une IST…
Et pendant que je crée une fiche, elle me raconte l’histoire d’une boule qui est apparue sur le dernier tiers de sa grande lèvre samedi soir, qu’elle a ignoré le dimanche malgré la douleur qui se faisait de plus en plus vive et c’est une bartholinite. On va regarder pour confirmer, parce que ma règle est d’examiner pour poser un diagnostic, sauf si la patiente est sûre d’elle à 200%, mais là, c’est une bartholinite, ou alors elle a un abcès de rasage vraiment énervé.
Elle a l’air un peu pressée, moi aussi, donc l’anamnèse est courte ; et c’est une bartholinite me crie mon cerveau ; l’examen est gênant, donc il est bref, car je ne veux pas le faire durer inutilement, je vois ce kyste sous la peau qui déforme sa vulve de la gauche vers la droite et qui est douloureux, enflé, rouge, comme dans les livres car…
J’ai donc une bonne et une mauvaise nouvelle : je sais ce que c’est, ça se traite plutôt bien, mais la mauvaise, c’est que je ne peux rien faire à mon échelle et qu’il faut qu’elle voie les urgences gynécologiques.
C’est obligé ?
Ben le traitement est possiblement chirurgical, donc oui, un peu.
Elle se mord la lèvre, embêtée. Est-ce que je peux attendre demain matin ?
Il vaudrait mieux y aller maintenant, mais…
Je passe sa carte vitale, et deux noms apparaissent dessus.
Non parce que je vais chercher mon fils à la crèche dans moins d’une heure et je n’ai pas vraiment de solution de garde.
Oh, je me maudis, moi, mon anamnèse courte, mon cerveau qui fait la danse de la joie dans son coin parce que « Yeah, c’était une bartholinite, t’as vu ? Je le savais ! Je suis trop fort.
— Ta gueule, moi, c’est pas le moment de crâner. »
Je maudis ma fatigue de jeune parent, qui m’a donné ce réflexe idiot devant cette femme de 33 ans, de ne pas évoquer la possibilité que « femme célibataire » pouvait correspondre à « mère célibataire ».
C’est juste 21% des familles en France, les familles monoparentales avec des « femmes célibataires ». Ce n’est pas vraiment une minorité. « Mais c’était une bartholinite, dit mon coin de cerveau sale gosse, déçu.
— Oui, mais on ne va pas laisser un enfant de 2 ans et demi seul à la sortie de la crèche. »
Bien sûr que ça attendra demain, de gérer la douleur avec du paracétamol, de passer la nuit à organiser un relais de garde de dernière minute, de poser votre fils à la crèche avant d’aller aux urgences.
Pardon.
Une réflexion sur “Le détail (2)”