« Comment ça va ? »
On s’est posé depuis 2 minutes.
J’ai ouvert son dossier sur l’ordinateur, elle a commencé à étaler ses affaires sur les chaises, la porte est enfin fermée. Je lui ai déjà posé cette question quand elle est entrée depuis la salle d’attente, mais je sais que c’était la façade, un « bien » banal, convenu, cette réponse automatique que j’ai mis des années à acquérir parce que, soyons sérieux deux minutes, la plupart des gens qui vous demande « comment ça va » ne sont pas capable d’accueillir votre réponse sincère.
Elle est donc devant moi ; ses yeux rougis enfoncés, ses cernes, sont comme un miroir ; je lui repose la question, et j’attends. « Peut-être pas si bien que ça », dit-elle. Les larmes coulent. Je lui tend la boite de mouchoir de mon bureau. « Je suis inquiet pour Maxime, parce que ça fait trois semaines et… » la phrase ne sort pas.
On va parler de plein de choses, mais sans doute pas de périnée comme on le pensait initialement. « On ne dort pas en ce moment parce qu’il passe son temps à tousser et qu’il ne mange pas. On pense qu’il y a du reflux, mais l’Inexium ne marche pas bien. La nuit on l’entend qui hurle, et je pense vraiment qu’il a mal. » Elle fait une pause. « On n’arrive pas à le calmer, il nous hurle dessus en permanence. »
Ça me renvoie à ces soirs de février, penché sur un berceau, au dessus de ma fille qui tousse. Le virus a fini par descendre sur les bronches. C’est un bébé « solide » qui « tolère bien », mais je la vois qui a une quinte de toux, puis qui crie, cherche sa tétine, cherche ma main. Elle siffle beaucoup, mais la pédiatre a dit que ça ira.
Mes yeux me tirent.
Je chante dans ma tête et je mords ma phalange.
La fatigue et l’inquiétude sont un poison à ce stade. J’espère que la toux ne lui fera pas vomir le peu de soluté de réhydratation qu’elle accepte de boire.
Une bronchiolite ça dure quoi ? Une semaine ? « Ils peuvent mettre du temps à récupérer », dit la pédiatre, quinze jours à se demander à quelle heure après le coucher on se relaiera pour essayer de la rendormir après une crise.
« Je comprends », je dis, le manque de sommeil, c’est de la torture. » Elle lâche les vannes. Seule à la maison avec son bébé et son reflux, elle a l’impression de tourner en rond, et ça fait du bien d’en parler à quelqu’un d’autres. On sent que sa médecin généraliste est en train de fuir peu à peu la situation. On a essayé un lait épaissi, logique, des pansements gastriques, des anti-acides. Ça ressemble clairement à une œsophagite, « mais il a des selles qui sont quand même très liquide » et de fil en aiguille on commence à se demander s’il n’y a pas une allergie aux protéines de lait de vache qui passe sous le radar.
Cette partie de mon travail est compliquée, parce qu’on sort doucement, mais surement de mes compétences de sage-femme. Je ne peux pas faire grand chose à par offrir des conseils et une courte pause.
Photo de Jenna Duxbury sur Unsplash
Une réflexion sur “11 – L’enfer”