Je signe à l’accueil et on me donne le nom. L’odeur en sortant de l’ascenseur me renvoie des souvenirs. Quand la marraine de ma sœur nous avait emmené à son bénévolat catholique. Mes premiers stages infirmiers. Les services qui entouraient la maternité où j’ai bossé avec Ambre.
Je sens l’urine couverte de détergent et la peau plus rance ; je suis loin de mes terrains habituels parce que je suis en EPHAD.
« Mais voyons Jimmy, qu’est-ce que tu fais là ? Tu gères plutôt l’autre bout de la chaine d’habitude. » Je toque doucement à la porte et la fille de ma patiente m’ouvre. « Ils ont commencé sa toilette. Merci d’être venu, on commençait à désespérer de trouver quelqu’un. Elle est plutôt bien ce matin. » Je pose mes affaires et je toque à la porte de la salle de bain « Bonjour Madame, c’est le sage-femme !
− Bonjour Madame, répond-elle, vous avez vu mon panier ? demande-t-elle à travers la porte.
− Non, je ne l’ai pas vu.
− C’est embếtant, parce que j’en ai besoin. »
Les aides-soignantes rigolent et finissent leur office. « Elle a Alzeihmer depuis 3 ou 4 ans, mais ça fait seulement 1 an qu’elle est en institution, me confie sa fille.
− Ça doit être lourd à porter.
− C’était plus dur avant… » En attendant ma patiente, on parle de son parcours d’aidante, de sa famille. On parle aussi de ses grossesses pendant qu’une des pensionnaires de l’étage nous fait un signe de main en regagnant sa chambre. Puis l’infirmière de l’étage la raccompagne dans sa chambre.
Ma patiente sort de la salle de bain. « Vous avez mon panier Madame ?
− Non. Je suis Jimmy, je suis là pour vous aider. Votre fille m’a demandé de venir changer votre pessaire. » Elle ne me comprend pas.
J’ai commencé à me confronter avec cette partie du travail de sage-femme libéral il y a 3 ans. Presque personne ne le fait. Les médecins le font en consultation, quand les patientes ont la possibilité d’aller en cabinet ; les infirmières ont du mal avec les vagins, même si c’est techniquement dans leurs compétences ; les sages-femmes libérales, pour avoir échangé sur le sujet avec certaines de mes consœurs ne le font pas toujours.
« Je sais qu’elle est mieux quand on lui change, ça lui évite les infections. Elle est beaucoup plus agitée quand ça la gratte. Et si elle n’a pas son pessaire alors là…» On est d’accord sur le fond. La situation reste ardue quand on est à cheval sur le consentement comme je le suis. Elles l’aident à s’installer sur le lit. Je pose ma voix. « Je mets du lubrifiant et je vais vous examiner.
− Madame, répond-elle comme un écho. C’est froid Madame. »
J’ai deux doigts à l’entrée de son vagin, je chercher le silicone avec mon index. Je soupire presque de soulagement en sentant les bords de l’anneau. Des modèles de pessaires qui existent, c’est clairement le moins chiant à changer. Je passe mon doigt et je tire doucement. Les muqueuses hypotrophiques résistent un peu. Elle crie de surprise. « Je l’ai, dis-je aux personnes qui m’accompagne.
− Tout va bien maman, sa fille lui caresse tendrement les cheveux. C’est presque fini. »
Je passe un coup dans la salle de bain pour le laver.
Le plus dur dans le geste, c’est ça. Ce n’est pas sale, mais il y a une odeur forte.
La première fois j’ai eu un haut le cœur, et ça me surprend encore parfois. L’eau chaude, le savon, le masque m’aident. Je glisse l’anneau dans une serviette éponge et je repasse dans la chambre. La suite prend moins d’une minute. Je soulève le drap, je lubrifie et je pousse l’anneau plié. Avec un doigt je vérifie qu’il est bien en place et on a fini.
C’est un territoire assez difficile, où l’on intervient à la demande d’aidants dans des lieux où l’institution n’est pas forcément armée. On se pose sur une table près de l’accueil pour discuter pendant que je fais ma feuille de soin.
« Je ne pensais pas faire appel à une sage-femme pour ça, mais heureusement que vous êtes là. C’est précieux. »
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