On est lundi, la pluie tombe de façon lourde sur les carreaux et je pose mon sac de consultation trempé dans l’entrée, je jette mon parapluie dans la baignoire, je m’effondre sur le canapé à côté de ma chérie.
Elle ne dit rien. Elle lit. Je me vide la tête dix minutes sur mon téléphone. Je sens l’orage gronder au loin.
« Ça a été ta journée, je lui demande ?
− Ah ben enfin ! C’est bien que tu finisses par demander. Moi je passe la journée toute seule avec un bébé et j’ai même pas droit à une interaction sociale basique avec un adulte ? »
Un éclair zèbre le ciel, le tonnerre fracasse la rue. J’ai merdé, et je suis au courant. Je suis fatigué. Elle aussi. Elle m’attendais, notre temps à deux va être plus court, la nuit s’annonce chaotique.
C’est un de ces soirs où, pour réussir à raconter ma journée, il faut que je ressortes mon planning. Mon cerveau ressemble à de la bouillie. Elle vient, elle, de gérer ma fille pendant son jour de « repos » et demain on recommence l’infernal ballet de la crèche. C’est notre seule soirée avant 3 ou 4 jours et on va la passer à discuter de notre couple. On doit faire l’effort de ne pas être des colocataires qui partagent un enfant et un lit.
Il serait très exagéré de dire que c’est récurrent, mais ça doit arriver tous les trois mois, surtout quand son travail à elle devient plus dur à tolérer.
Elle venait de passer le week-end à la maternité, en salle de naissance, à gérer des enfants prématurés, des morts fœtales ; il y a des moments à thème pas très joyeux dans notre plus beau métier du monde. Ce côté dur de notre travail est devenue une partie du quotidien. Sage-femme est une profession dont la couleur est parfois mal assortie à nos blouses roses.
Son problème, sa rage, son tourbillon interne, c’est de ne pas avoir le temps d’accompagner les gens correctement. Je ne sais pas si vous êtes au fait de l’état de l’hôpital public en France en ce moment ? La maison s’effondre doucement, sans que les propriétaires ne semblent motivée à réparer le toit qui fuit ou les canalisations qui rouillent. Il y a 20 ans déjà on aurait dit que c’était un endroit « dans son jus » ou « chargé d’histoire ».
C’était presque un miracle que cette ruine dont on retire peu à peu les organes vitaux tiennent encore debout.
C’était un miracle appelé les gens.
Les infirmières, les aides-soignantes, les sages-femmes, tiennent les murs, et je pense qu’elles commencent à en avoir plutôt marre. Donc elles se protègent et elles se cassent.
L’orage qui passe parfois sur mon couple n’est qu’un effet collatéral.