Ça commence en général par 1. e4 c6 2. d4 d5 avec les noirs, ou 1.d4 quand j’ai les blancs. Je suis le seul pigeon sur la toile qui a commencé les échecs avec le Jeu de la Dame sans avoir jamais vraiment regardé la série, mais juste parce que ça a ravivé ma frustration de n’avoir jamais dépassé un niveau médiocre. J’avais commencé tôt au centre aéré du comité d’entreprise où mon père me posait tous les mercredis, puis contre lui, puis en colonie de vacances. Je pense que je n’ai pas joué entre mes 15 et mes 32 ans.
Et puis je me suis dis que pour jouer sur un ordinateur vieillissant c’était une stimulation intellectuelle de bonne qualité, et peu gourmande en ressource de calcul, facile pour jouer sur internet.
Je suis un joueur très moyen, je gagne parfois, je perds souvent, et je vois mon classement s’effondrer régulièrement. J’aimerais bien dire qu’il y a des jours sans, mais quand j’analyse mes parties je me rends compte que j’ai surtout fait des fautes d’inattention. Je me suis même mis à étudier le sujet en parallèle, et c’est impressionnant de voir les ressources qu’on trouve gratuitement en ligne pour peu qu’on se débrouille en anglais.
Les échecs m’apprennent quelque chose d’important au quotidien, quelque chose qu’il m’a fallut du temps pour accepter : il faut savoir perdre. Yasser Seirawan le dit même au début d’un de ses livres : pour progresser il faut jouer contre plus fort que soi, perdre, puis comprendre pourquoi.
Les formations médicales en France ne cultivent pas vraiment le droit à l’erreur, mais c’est pourtant comme ça que j’ai appris : parce qu’une sage-femme a rattrapé mes bourdes d’étudiant. Je dirais même plus : tout le cursus que j’ai eu jusqu’à mon Diplôme d’État ne souffrait rien d’autre que la réussite la plus totale ; les concours sont après tout fait pour sélectionner les meilleurs éléments, pas vrai ? Mais les informations qui me restent le plus fort en mémoire sont les erreurs qu’on m’a corrigé.
J’ai cette patiente que je vois en rééducation. C’est son troisième enfant et son fils a un reflux vraiment énervé. Je la sens fatiguée à chaque fois que je la voie, mais je sais une chose sur elle : cette grossesse était le fruit d’une contraception « naturelle » peu efficace et elle ne se voit pas vraiment avec un quatrième enfant.
« C’est mon corps qui réagit bizarrement, je suis pas comme les autres » dit-elle. Je ne sais pas si c’est physique, psychosomatique ou les deux, mais elle supporte peu de choses. Et on a essayé. La fois d’avant on avait essayé un DIU au cuivre et mon « mal toléré » pudiquement écrit dans son dossier était très en dessous de la réalité.
« Cette fois je veux un truc simple, genre une pilule. Enfin pas celle là parce que… » On a donc commencé par une pilule, et j’ai essayé de faire au mieux sur le climat et le dosage. On n’était plus au stade de la première intention, clairement.
Elle est revenue la semaine suivante et elle a commencé la consultation avec une phrase culte, malgré elle : « j’ai un problème avec ma pilule ». On a parlé de libido, on a parlé de problèmes de couples, mais une fois le tour fait le problème était bien sa pilule, la changer a réglé quelques soucis. Pas tous.
Je pense que nous sommes en train de doucement nous diriger vers une impasse, en discutant à chaque fois franchement de ce qui lui plairait ou non.
On n’oublie jamais que la meilleure contraception, c’est celle qu’on choisit.
Mais je n’y arrive pas vraiment.
« C’est pas grave, me dit-elle, ça prendra le temps qu’il faudra. Je vais peut-être réussir à convaincre mon mari pour la vasectomie. Vous savez les hommes ont du mal à aller chez le médecin, eux. »
Photo de Андрей Гаврилюк sur Unsplash
Une réflexion sur “8 – Échecs”