« Il y a deux types de personnes qui ont le droit de me déranger : les femmes enceintes et celles qui ont accouché il y a moins de trois mois. Et vous allez bientôt passer d’un groupe à l’autre. »
C’est comme ça que je conclus mon dernier cours de préparation à la naissance, après avoir discuté de hiérarchie des besoins et de self-care parental.
Quand je dis ça, j’y crois.
Je l’avais vu il y a deux jours, avec une cicatrice « ça me gêne un peu, mais avec le paracétamol ça va », une épisiotomie plutôt bien suturée. On avait regardé quand même « pour se rassurer ». Je me pose toujours la question de retirer des points, mais là, à seulement cinq jours de l’accouchement, la tension superficielle était faible et la douleur semblait surtout musculaire. « Il vous faut du temps et des médicaments. On essaye de refaire le point rapidement. »
Le lendemain j’ai un texto à ma pause déjeuner : « Je suis désolé de vous déranger, mais depuis ce matin j’ai vraiment beaucoup plus mal. Je ne sais pas quoi faire.
− Venez. J’ai un créneau à 19h », je mens, « c’est possible pour vous ? »
Elle est là, seule, dans la salle d’attente quand je fais sortir ma dernière patiente. Je sais que ma chérie va m’engueuler pour mon retard. Je ne fais pas ça souvent. « Merci de me prendre en dernière minute. Je suis désolé, dit-elle.
− Je pense que vous avez eu le bon réflexe. On regarde ? »
C’est la même cicatrice, presque. Vingt-quatre heures plus tard.
Le sixième jour de cicatrisation n’est pas le meilleur pour retirer des points, j’essaye toujours d’attendre au moins le septième, mais là, vu la douleur, la balance bénéfice-risque me semble plus que favorable. J’explique ce qu’on va faire à ma patiente qui grimace « ça va faire mal ? − Surtout si ça fait peur. Ça fait peur ? − Un peu.
− Attendez. » Je sors mon miroir. « Vous savez, moi chez le dentiste je ne suis jamais très bien, mais quand je regarde ça m’aide. Vous voulez essayer ? »
Elle me regarde œuvrer. Je touche ses points doucement, je lui explique. Je retire ce point, ce petit bâtard, juste à la fourchette de la vulve qui tire la petite lèvre un poil trop bas. Et je retire les autres aussi, histoire de faire bonne forme.
Quand elle s’assoit pour qu’on passe la carte vitale, je la sens déjà plus confortable. Elle repart dans la nuit naissante avec un pas plus léger.
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Une réflexion sur “4 – Dernière minute”