Cet article aurait dû paraître en février, mais j’avais l’impression qu’il n’était pas mûr.
Le réveil a sonné trop tôt. J’ai mal dormi, une masse sur un matelas à même le sol dans des draps un peu trop poussiéreux. Les mots et la frustration de ma compagne m’ont gardés éveillé tard. On a finit un peu avant minuit, avec des meubles presque entièrement démontés, avec des cartons quasiment scellés, mais au ressenti, rien n’était prêt.
J’ai filé dans la salle de bain pour me plonger la tête dans l’eau froide. Des souvenirs de réveils aux aurores remontent, du noctilien à attraper, presque en courant, pour espérer avoir le premier train. Je souffle sous l’eau et je me sèche le visage. On a oublié de ranger ces serviettes.
Ma chérie est dans le couloir, ensommeillée. « Je vais aller finir de démonter le canapé. » Elle hoche la tête.
Quelques tours de clés, quelques grognements. Dans la masse de carton du salon je ne sais même plus vraiment où poser les morceaux. Et mon téléphone vibre. « On s’est garé ! Est-ce qu’il y a des codes ? » demande-t-il.
Huit heure moins trois minutes, les déménageurs sont ponctuels. Le ballet se met en place, et les pièces de l’appartement se vide peu à peu. Il n’y a plus qu’à laisser faire.
J’avais besoin de mettre sur cet écran la peur, l’excitation, le stress d’un déménagement.
Puis ce moment hébété où des inconnus prennent dans les mains ce qui est ma vie dans des cartons, pour les mettre dans un camion. Un cubage de plus en plus important à chaque déménagement, parce que je suis passé d’une chambre d’ado à un studio, d’un studio à une vie à deux, d’une vie à deux à un quatre pièces.
Je n’ai jamais aimé les déménagement. Ou les déménageurs.
D’habitude il y a des potes pour donner un coup de main, des dettes de sang remboursées à coup de bières et de pizzas, et de travail physique gratuit.
Il y a mon père. Il ne porte pas trop de carton, mais il a le rôle le plus important parce qu’il conduit le camion. Et pour la jeunesse parisienne, trouver quelqu’un qui sait conduire et qui se sent de mener un camion, c’est un trésor.
Il y a mon pilier, la copine qui a déménagé tellement de fois qu’elle est endettée à vie envers toi, et qui a acquis par la même une ceinture noire de Tetris. Il y a ce pote qui vient sans poser de questions, parce que c’est l’occasion de sortir un peu, et qui cache sous son apparence frêle une musculature efficace… Et tous les autres. Ma sœur m’a dit une fois qu’elle était presque jalouse, car quand je demande à huit personnes de venir pour mon déménagement, ils sont huit en bas de l’immeuble le jour dit.
Quand je repense à ma première, quand je suis allé vivre en province, je sais que j’avais besoin de soutien. Ma sœur ma parle encore de cette départementale coincée entre deux champs retournés, avec un clocher comme seule montagne : « c’est vraiment là que tu vas vivre ? » Ça avait l’air débile dit comme ça, et ça l’était un peu. J’avais besoin de travailler. Cela dit, je pense toujours que ce genre d’expérience est importante pour grandir.
Mon deuxième a donc été logiquement une fuite, moins de 6 mois plus tard, et mon retour à Paris. Le plus dur ça a été de me retrouver dans une chambre chez mes parents, passée la barre des 24 ans, avec un lit pourri, et ma vie dans un garde meuble.
Mon troisième a été mon premier appart de parisien. Un trente mètres carrés hors de prix, dans un quartier en pleine gentrification, au dessus d’un kebab. Il faisait presque chaud en hiver, quasiment frais en été (seulement 32°C, une aubaine vous dis-je), et si l’odeur de viande grillée industrielle ne vous dérangeait pas, vous étiez chez vous !
J’ai adoré cet appartement, j’ai haïs cet appartement. Une relation ambigüe qui se résumait en un point : j’avais la chance d’avoir mon nom sur un bail avec mon statut précaire de sage-femme hospitalier en CDD, et je n’avais beaucoup d’options pour changer.
Mon quatrième s’est profilé quand j’ai découvert que mon loyer n’était pas compatible avec la création d’un cabinet libéral. J’ai donc fuit une nouvelle fois pour m’installer chez ma chérie.
Oui, il faut que je vous avoue un truc important, c’est que dans ces aventures j’ai toujours eu le privilège d’avoir un entourage présent, dont ma compagne.
Ça a été également mon premier contact d’adulte avec des déménageurs, et je dois avouer que ce ne fut pas plaisant. Ça explique sans doute pourquoi cette fois-ci je n’étais pas trop emballé.
Je n’ai pas trop envie de parler du cinquième. C’était un moment familial compliqué, et pour le coup je pense que ma compagne m’en voudra de le raconter. Autant je peux me livrer, autant je ne veux pas trop en dire pour elle.
Du coup c’était mon sixième. On s’était rendu à l’évidence : on ne pouvait pas rester dans deux pièces, il nous fallait plus grand.
En deux heures l’appartement était vide, pas encore en état d’être rendu, mais l’ensemble de nos biens tenaient dans un camion. J’ai regardé notre salon vide, les deux chaises du propriétaires dans la poussière et le poster du Japon encore au mur. Il pleuvait dehors, ça expliquait que mes yeux soient devenus humides, l’espace d’un instant, que ma gorge m’ait gratté. À ce moment là j’avais vu le nouvel appartement deux fois, pour l’état des lieux et pour le ménage.
En deux heures toutes nos affaires étaient dans nos nouveaux murs. J’ai trouvé un endroit où installer ma chérie enceinte. Le salon était une pièce presque praticable au début de l’après-midi, le temps pour le technicien fibre de passer installer internet. La fin de l’après-midi a vu la chambre résonner de mes cris de rage alors que je montais le lit.
Un endroit où se poser, un endroit où dormir et une connexion internet : les bases de la pyramides de Maslow moderne.
Photo by Jackie Zhao on Unsplash
C’est une pudique et jolie évocation de ce que nous évoquent les déménagements 🙂 Sentiments ambivalents, les potes, l’angoisse, la hâte… ici je ne compte plus les déménagements, beaucoup trop nombreux en région parisienne, et le meilleur pour la fin, celui qui nous a vus revenir dans ma région, dans une grande maison entre champs et forêts. Je crois que de tous tes logements, c’est la p’tite départementale avec le clocher pointu qui m’aurait le plus convenu, mais je suis très loin d’être Parisienne il faut dire !
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Ahhh, les déménagements…j’en ai déjà fait 6, et le 7e est à venir…Tout un programme à chaque fois. Et les amis qui se délitent, la famille qui vieillit. Ca devient compliqué…et cher.
Tout comme la personne qui a laissé le commentaire plus haut, j’avoue que plus je vieillis plus j’aime les petits villages avec leurs clochers ! 😉
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