C’est devenu un rituel. Je rentre à travers les rues désertes à l’ambiance de fin du monde.
Paris, 13h30, en plein confinement.
Il y a deux chats qui se baladent au bord de la petite ceinture, un passant terrifié qui se cache à moitié le visage avec une écharpe en laine et des sacs en plastique qui volent.
Ça fait trois semaines que les gens se sont fait une raison : on reste chez soi, on jongle entre le travail à distance et l’ennui − ou les enfants selon la chance que l’on a. J’ai de temps en temps des appels de patientes perdues qui demandent à être rassurées, des suivis de grossesse infaisables parce la famille a décidé de partir en Normandie du jour au lendemain pour découvrir une maison de vacance sans fioul et for froide.
Je passe à la supérette en bas. Je dois être la seule personne avec un masque.
Parce que oui, c’est connu, à cette époque « les masques ne servent à rien » d’après le gouvernement, d’ailleurs « attention à l’hygiène des mains ». Perso, déjà, je n’achète pas que des masques sont inutiles en pleine pandémie respiratoire.
Bref, je traine dans les rayons, j’ai mon prochain rendez-vous dans 20 minutes, alors il me faut un truc simple comme une demi-baguette, un truc à tartiner et une salade industrielle. « Et si je faisais un gâteau ? » Le rayon farine est vide, mais le patron m’a mis un paquet de côté.
Je rentre chez moi, je change de vêtements et je me douche très rapidement, et je me mets à mon ordinateur. Je démarre ma deuxième journée. Je télé-consulte. Et je vais grignoter mon déjeuner micro éteint.
Si un jour on m’avait dit que je travaillerais de chez moi…
« Désolé j’ai du retard, me dit la première patiente. Vous savez ce que c’est en ce moment.
− Mâmaaaaaan.
− Oui du calme. Tiens, tu veux pas un peu de compote ?
− Vous tenez le coup ?
− Et vous ?
− Oh, moi, je me débrouille vous savez. »
On discute un peu, je prends la température.
« J’ai besoin d’un rendez-vous pour retirer mon DIU. On se lance dans le deuxième avec Jean-Marc*
− Certes, mais je ne sais pas si on peut qualifier cela d’urgence. Pas au point d’ouvrir le cabinet pour ça. Vous avez essayé de le faire vous même ?
− Je peux le faire moi-même ? »
C’est comme ça qu’on se retrouve dans sa salle de bain minuscule. Je lui donne quelques instructions, et elle, un pied sur le rebord de sa baignoire, elle cherche les fils. Je regarde son visage concentré. « Et maintenant vous tirez fermement dessus, et ça va venir tout seul.
− Je l’ai ! » Elle brandit son Mirena face à son téléphone avec fierté. « En vrai, c’était plutôt simple ! »
*Vous imaginez bien que les prénoms sont modifiés.
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