J’ai déjà parlé de mes deux grands-mères, ici de celle que j’ai perdu plus jeune et pas assez de celle que je vais revoir avec joie (j’espère, saleté de Covid, fait pas le con) pour les fêtes.
Je n’ai pas parlé de mes grands-pères.
Dans mon rapport à ma paternité nouvelle, il me revient régulièrement des échos de ce que mon propre père a fait par rapport au sien. Mes deux grands-pères étaient des hommes « de leurs époques », comprendre : violents, dominateurs, problématiques. Potentiellement des hommes extraordinaires à leur façon également. Mon père a travaillé beaucoup pour rompre la chaine de la violence, cette sorte de malédiction familiale transmise comme un gène lié à l’Y.
Aujourd’hui j’ai envie de parler de mon autre grand-père, une de ces images d’enfant qui m’ont un peu poussé dans le médical. Je crois qu’on s’invente des histoires quand on est môme, des instantanés lisses et glorieux où les odeurs et gestes brutaux sont floutés par un halo : la légende.
Mon grand-père maternel était…
J’ai plusieurs versions de l’histoire. J’ai aussi un amas de faits.
Il est né avec le siècle dernier, d’un père qui était lui-même médecin, petit-fils d’instituteur, dans un village du sud. Quelque part dans sa jeunesse il paraît qu’il s’est battu au couteau avec des gitans, qu’il a resquillé dans un train de marchandise pour essayer de partir en Amérique… Mais vu ses notes, il était surtout un élève studieux. À 16 ans il aurait falsifié son acte de naissance pour partir au front en pleine Grande Guerre, même s’il semble qu’il ait arrangé son père en plein divorce pour en fait avoir une dérogation, et se retrouver dans une caserne très loin du feu.
Il est devenu chirurgien. Ça, tout le monde est d’accord, et il semblerait qu’il ait été plutôt bon.
Et qu’il collectionnait les Bugati et les maitresses, qu’il avait ouvert un bloc dans un hôpital et qu’il était donc, à l’époque, obstétricien de fait.
La légende commence à dépasser l’homme quand l’Histoire le rattrape.
Il a fait la guerre de 39, a ouvert un poste de communication dans son bloc et une cellule de résistants. Et ensuite il a été arrêté, déporté. La suite de l’histoire mérite presque un roman.
Ce billet pourrait en devenir un.
Il y a eu la prison, Dresde, puis les camps, la marche, le typhus, la tuberculose, et, fort heureusement, beaucoup de relations.
Je pourrais presque dire que ce qui l’a sauvé, dans l’ordre, serait la chance, des compétences médicales et le fait d’être un homme blanc bourgeois privilégié.
Reste qu’il est retourné être chirurgien, a vécu d’autres aventures politiques…
Il est resté traumatisé à vie, violent avec sa famille (s’il ne l’était pas avant).
Il est d’un côté une sorte de héros de roman ; de l’autre un homme de son époque, avec tous les blessures associées.
En grandissant, j’ai appris à me méfier des légendes.
Photo by Paul Pineda on Unsplash
Personne ne se fait seul. Qui qu’ils soient, les membres de notre famille participent à nous construire. Des racines…
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C’est compliqué de se rendre compte qu’on devient un maillon d’une chaîne immense en devenant parent, et du poids de la transmission qui va avec.
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Compliqué…, oui. Troublant. Vertigineux même. Et de comprendre alors qu’un jour on sera peut-être « ce » grand-père dont parlera un petit-fils pas encore né.
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