La première fois, elle est entrée et n’a même pas enlevé son manteau. Elle a choisi la chaise la plus proche de la porte, s’est assise au bord. « Bienvenue, je suis Jimmy, le sage-femme. Vous venez pour de la gynécologie… C’est la première fois qu’on se rencontre. » Elle acquiesce et concède un « oui » un peu sec, du bout des lèvres.
« À la base je voulais pas venir, mais ma cousine elle m’a dit que vous êtes bien.
− C’est gentil à elle de dire ça, même si je ne peux confirmer ou infirmer l’avoir un jour rencontré. On va discuter un peu, d’accord ? Si vous pouvez me dire ce qui vous amène. »
Un renouvellement de pilule. Un « motif simple ».
J’ouvre une nouvelle fiche, on vérifie l’identité. Je lui dis qu’il n’y a pas de « réponses obligatoires » et on commence. Mon anamnèse commence facilement : taille, poids « à peu près, hein » et antécédents. Elle retire son manteau. Elle a un pull énorme en dessous. « est-ce que vous fumez ? − Un peu. − Ça veut dire quoi, un peu ? » On parle de tabac et d’alcool social, de risque cardiovasculaire avec la pilule. On parle du joint qui tourne en soirée, et de la fois où elle essayé des pilules cheloues en boite.
« Est-ce que dans votre vie vous avez déjà subi des violences, physiques, sexuelles, médicales, ou familiales ? − Oui. » Elle se ferme comme une huître. « Vous avez le droit de dire non, mais est-ce que vous souhaitez en parler aujourd’hui ? − Non. »
Je marque une pause. « D’accord. C’est pas toujours évident d’en parler avec un inconnu, mais si un jour vous vous sentez prête… Sinon il y a des associations d’écoute, si ça vous intéresse. On continue ? » On parle pratique sportive, santé bucco-dentaire et vaccination (un sujet parfois épineux en ce moment), et gynécologie. « Les frottis commencent l’année prochaine. Vous savez ce que c’est ? »
On finit avec les antécédents familiaux.
« Donc un renouvellement de pilule ? Vous prenez quoi ? »
Pendant l’entretien, elle s’est réouverte, elle sourit même un peu. Le reste est presque simple. On discute danger des interactions entre les troisièmes générations (sa pilule, bien tolérée depuis 3 ans), le tabac et l’âge. On parle de calcul des risques. « Mais pour l’instant il est raisonnable de la garder si ça vous va. Du coup restez assise, je vais vous examiner. » Elle hésite une seconde, regarde la porte.
« J’ai besoin de prendre une tension et de vous faire vous peser. Et c’est tout. C’est bon pour vous ? »
Elle retire son pull. Dessous elle en retire un deuxième, puis un gilet et elle est enfin en t-shirt. Je prends une tension − parfaite, elle monte sur ma balance et se rhabille. « D’habitude on regarde tout, non ?
− Pourquoi faire ? »
En sortant, sur le pas de la porte elle me dit « Au fait, vous parliez d’adresses pour discuter des violences… »
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