Elle m’attendait devant le cabinet, sous la pluie, avec son parapluie rouge. Elle me sourit quand j’arrive ; je ne la connais pas. Je me dépêche d’ouvrir le cabinet, je lui propose de s’installer en salle d’attente pendant que j’aère et que je prépare mon bureau. Je me lave les mains, je baille derrière mon masque, bois un peu d’eau. Puis j’allume l’ordinateur qui démarre comme un avion.
« Vous allez pouvoir entrer ! Quand vous êtes prête. » Elle s’arrête sur le pas de la porte. Hésite un peu. Depuis qu’elle est arrivée je la sens tendue. Il y a un long soupir qui passe. « Je vous en prie, prenez un siège. Je vais fermer la porte et la fenêtre… » Une fois cela fait « Que puis-je faire pour vous ? »
Elle se tord les mains. Les larmes montent, incontrôlables. Je lui tends deux mouchoirs, une main sur l’épaule. « Je sais que ça va aller, dit-elle, c’est juste que… » Elle prend une grande inspiration. « Je ne veux pas d’enfant. Je veux une ligature des trompes. » Elle me regarde. Droit dans les yeux. À travers ses lunettes humides. « Ça va mieux en le disant. Je vous ai trouvé sur internet, je sais que vous ne me traiterez pas d’hystérique ou de folle ».
On a ensuite discuté, je lui ai donné des adresses, une liste personnelle d’il y a certain temps. « La difficulté c’est de trouver la personne pour opérer.
− Je sais. Au début je pensais que ça serait facile, c’est un droit non ? Et puis… »
Elle m’a raconté ses consultations, nombreuses, avant d’arriver chez moi.
J’ai du mal à entendre que des médecins ou des sages-femmes peuvent aller jusqu’à insulter des femmes, mais je ne peux pas non plus mettre en doute la parole de mes patientes.
À travers elles, j’ai une fenêtre sur ce monde bizarre de la gynécologie, celle que je ne pratique pas : brutale, douloureuse, qui existe encore ; j’en reste perplexe.
Deux semaines plus tard elle m’a appelé. Plusieurs des chirurgiens n’exercent plus. Ils sont partis, avec le Covid, en province ou à la retraite. Mais elle ne désespère pas. Elle continue à chercher. Moi je raye des noms.
La semaine dernière j’ai finalement reçu un courrier hospitalier. Elle a trouvé.
Et j’ai un nouvel endroit à proposer aux patientes qui cherchent.
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