Aujourd’hui les sages-femmes étaient encore en grève et elles manifestaient à Paris. J’ai eu toujours eu l’impression d’être porté par un vent épique dans ces rassemblements ; les femmes qui manifestent sont les témoins discrets de la fondation de l’humanité.
Ce matin, autour d’un café avec un petit groupe de consœur, nous discutions manifestation et revendications. Nous formions un groupe, cauchemar des soirées parisiennes, où des sages-femmes entres-elles libèrent une parole qui semble étrangement contrainte. Il se passe un truc assez extraordinaire dans ces moments-là, comme si nous n’avions parlé à personne depuis des semaines, l’impression que l’autre en face comprend exactement ce que je dis.
Je pense que si l’émotion principale était la colère, les discussions ont aussi concerné les gynécologues qui dans certaines maternités, « tenaient » la salle de naissance, seuls, assistés de plusieurs internes, et la préoccupation de la prise en charge des patientes, si nous sommes absentes.
Je pense que les demande d’augmentation de salaire, d’amélioration de statut et du nombre de sages-femmes à l’hôpital font partie des demandes récurrentes des sages-femmes, et, vu nos compétences je pense qu’elles sont légitimes. Chose nouvelle cette année, de nombreux collègues obstétriciens, avec qui nous travaillons au quotidien, les appuient. Je pense qu’ils sont conscient de la dégradation de nos conditions de travail et des conséquences à long terme.
Les sages-femmes sont une clef de voûte de la prise en charge périnatale en France, et si nous disparaissons l’édifice s’effondre.
Il y a pourtant un paradoxe dans ce soutien. Les guéguerres sages-femmes/médecins sont de nos jours des combats d’arrière garde, mêmes « nos amis du SynGOF » (copyright 10lunes) semblent les laisser sous le tapis, mais dans ce que nous demandons se joue aussi la visibilité d’une profession de femmes et je ne sais pas si les médecins sont prêts à nous laisser une place sous les projecteurs.
Le temps nous dira ce que vaut ce soutien, mais il est inédit.
Il est sans doute l’aveu que nous sommes, malgré tous les propos corporatistes qui ont émaillé ces dernières décennies, indispensables.
Je pense que travailler en bonne intelligence en fait sera l’enjeu d’une future place des sages-femmes dans le maillage de soin. Pour l’instant cette grève est très hospitalière, mais les sages-femmes ne le sont plus totalement. L’effectif des libérales a explosé, parce que leur exercice ne concernent plus seulement l’accouchement.
Depuis une douzaine d’année, la sage-femme se refait une place dans un écosystème très dominé par les médecins, mais où on doit également apprendre à composer avec les kinés, les infirmières et les pharmaciens. En fait, des sages-femmes invisibles, c’est aussi des difficultés d’organisation de parcours pour les patientes.
Nous donner un meilleur statut, c’est améliorer la prise en charge des couples.
Ce n’est pas très nouveau comme idée. C’est la source de ce refrain suranné : « une femme = une sage-femme ». Prendre soin de la santé des femmes dans leur globalité, mener la barque dans cette tempête qu’est la grossesse et la parentalité naissante, ça demande du temps et de la disponibilité. Nous ne pouvons clairement pas le faire de façon efficace avec les moyens que nous avons, et il s’agit d’une faillite politique. Si le but est de payer moins cher le système de santé, il y a quelque chose qui marche bien pour cela : la prévention.
Mieux nous payer, déverrouiller le système et valoriser vraiment nos compétences pour ce qu’elles sont, c’est investir dans le futur.
Pas pour dans six mois, mais vingt ans. Il n’y a que l’État qui puisse faire un effort de ce type, mais il faut une volonté politique.
Je ne serai jamais chirurgien, je ne prétends pas créer des prothèses cardiaque de pointe ou animer la recherche sur la scène internationale, il y a des talents scientifiques en France qui le feront mieux. Moi, ce que je peux faire, c’est faire en sorte que les futurs citoyens démarrent leur vie dans de meilleures conditions.
Je ne veux pas que la France rejoigne les États-Unis ou l’Inde dans le bas des classements sur la mortalité et les inégalités d’accès au soin.
On peut faire mieux, on doit faire mieux.
J’espère qu’aujourd’hui, ce n’était qu’un premier pas vers quelque chose de meilleur.
Pour une fois.
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