Un dimanche en suite de couche.
Je suis avec une étudiante sage-femme pour préparer sa clinique formative. Ça veut dire que demain une prof de l’école de sage-femme viendra la regarder travailler et lui poser des questions. Elle n’est pas notée mais je me mets facilement à sa place.
Je me souviens de ma première clinique, du stress qui l’avait accompagné, et des sages-femmes sympas qui m’avaient aidé à la préparer. Le travail de la journée est fini depuis un moment, on passe le temps en préparant un dossier.
J’entends que ça toque à la porte ouverte. Deux femmes, jeunes, avec des feuilles en main. De la famille de patiente peut-être ? Je prends mon sourire social et ma voix de sage-femme bienveillant « Oui, bonjour, qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
− Excusez moi ! C’est ici le planning familial ? »
Elle a dans une main une échographie, dans l’autre un paquet de mouchoir. Sa copine a l’air mal à l’aise. Je les fait entrer, je les installe et je ferme la porte derrière elle. On n’est pas au planning familial, et alors ? J’ai un peu de temps, alors je les écoute.
Son médecin généraliste lui a prescrit une échographie (pas de bêta-HCG), elle lui a dit qu’elle voulait avorter mais il ne lui a pas fait de courrier. Du temps perdu. Elle a vu un échographiste dans une clinique à côté (un dimanche ?!) qui l’a envoyé à l’hôpital. « Ils font les avortements là-bas, c’est simple ! » Et la patiente, avec une échographie en main, arrive… Quelque part. En fait, c’est bien là le problème, c’est qu’arrivé à l’hôpital, un dimanche, pour son IVG, il n’y a personne pour la renseigner. Les urgences l’ont basculé sur l’accueil, où la standardiste l’a envoyé en gynécologie-obstétrique. Logique. Implacablement logique. Et donc, ben…
Elle se retrouve dans un service de suite de couche, entourée de maman et de nouveau-né, avec son écho et sa copine, en train de pleurer de stress parce qu’elle a peur de ne jamais y arriver à temps. Cruellement logique, je dirais. Mon étudiante a levé le nez de son dossier, moi je me suis installé avec elle, une boîte de mouchoir, et mes souvenirs de planning.
Je fais le point, ce qu’elle a déjà, ce qu’il lui manque. Son médecin n’a fait qu’une prescription d’échographie. C’est pas mal, on a déjà une date de début de grossesse. Il ne lui a pas fait de courrier, ça, c’est con.
Car, à l’époque, une IVG ne pouvait se faire qu’après un délai de réflexion de 7 jours imposé par la loi, et il était donc de bon ton de marquer ce délai par un courrier daté indiquant qu’on avait vu la patiente, qu’elle est enceinte, et qu’elle souhaitait interrompre cette grossesse.
Je lui explique donc. Elle est pendue à mes lèvres. Les questions jaillissent en même temps que les larmes s’assèchent. On lui a dit que c’était mieux, en médicamenteux. Mais personne ne lui a expliqué. Je lui parle du comprimé qu’on prend pour arrêter la grossesse, puis celui qu’on prend après pour expulser l’œuf. Elle me demande si ça fait mal, si elle va saigner, si ça se fait chez elle ou à l’hôpital, ce qu’elle fait sinon…
Tous mes souvenirs de cours et de stages me reviennent, et je lui explique tout, et plus. Elle repart avec le sourire. « Merci pour tout et à bien… Non, pas à bientôt justement ! » Je ris. « Pas à bientôt, avec plaisir. »
Cet article est paru pour la première fois sur feu mon ancien blog le 14 juillet 2013. Ça a été pendant longtemps l’un des préférés de ma sœur. Le manque d’inspiration fait que je vous le propose aujourd’hui !
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