Au moment où mon téléphone a sonné, je me suis assis sur le bord de mon lit, un peu hébété. J’ai décroché par habitude.
Une sorte de réflexes primal que l’on a dans les petites maternité − ces maternités où les sages-femmes ont parfois encore une chambre de garde et où, si la nuit est calme propice, on peut espérer s’allonger quelques heures. Ces pièces sont une survivance d’un ancien temps ; les plus vieilles expérimentées parlent de leurs vingt-quatre heures, de leurs records imbattables, on y décèle une pointe de nostalgie fière.
Et donc, dans cette pièce mal chauffée, dont le mérite principale est généralement d’avoir un lit pour accueillir les manteaux, et d’un placard pour les blouses, quand le sage-femme qui s’étend a près de son cœur le téléphone des urgences. Oh il ne va pas dormir. Juste un peu fermer les yeux et…
Parfois on se réveille à cinq heure et demi, les yeux un peu collés, prêt à remettre ses sabots, pour qu’une patiente nous informe de son angoisse nocturne. On ne dormait pas, hein, mais on lui demande de répéter la question, histoire d’ajuster les neurones, on rassure, on raccroche. Et comme il est finalement pas loin de six heures on passe une tête dans l’office pour boire un verre d’eau et lancer le café.
Parfois l’aide-soignante fait de son mieux ne pas paniquer en nous disant que la quatrième pare qui vient d’arriver dans le couloir des urgences souffle quand même vachement fort.
D’où les sabots au bord du lit.
Rapport que faire un accouchement sans ses sabots, c’est une idée qui peut s’avérer humide.
Depuis que j’ai ouvert mon cabinet j’ai reçu deux appels nocturnes, je pense de la même personne.
J’étais toujours en province à ce moment là, en repos. Mon téléphone pro aurait dû se trouver éteint dans mon sac.
Il sortait sans doute du travail, à deux heures du mat, et il cherchait une femme pour s’amuser un peu. Du coup il s’est dit qu’une sage-femme était une bonne option, il m’a demandé si j’avais quelqu’un pour lui, pour l’aider à se détendre, et comme il était dans le quartier du cabinet, je lui ai proposé poliment d’aller voir ailleurs.
Ou peut-être que je lui ai donné l’adresse d’un commissariat. Il était deux heures du matin, après-tout.
Tout ça pour vous dire qu’on ne change pas.
Comme dans une autre vie, j’ai basculé sur le bord du lit, j’ai cherché mes sabots, puis j’ai chuchoté un « Allo » approximatif.
« Jimmy ! Je voulais parler à ta chérie. Elle décroche pas. »
Mais voyons, il est trois heures du matin, je sais bien qu’elle décroche pas. Quelle idée d’appeler à cette heure là. Ça a intérêt à être important.
Puis mon moi normal a pris le dessus, a reconnu la voix. J’ai fait le lien.
« Oh.
− Je crois que le travail a commencé. On va à l’hôpital. Je vais appeler pour savoir qui est aux urgences. »
J’ai secoué doucement ma moitié, je lui ai expliqué la situation.
« Oh » qu’elle m’a dit.
Malgré son addiction ancienne elle a descendu une canette de boisson énergétique, en a recraché la moitié, puis a sautillé d’excitation en attendant la réponse de son VTC. « Oh. Mon. Dieu ». Puis après un bisous de courage, elle a filé à la maternité pour assister sa collègue et amie dans ce qui promettait d’être une matinée très riche en émotion.
Et ensuite j’ai essayé de me recoucher.
Essayez de vous rendormir après un truc pareil.
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