J’étais dans le coin.
En gros j’étais en banlieue est avec une après-midi de libre et, en gros, pour un parisien, ça correspond plus ou moins à « être dans le coin ». Cela faisait presque deux ans que je ne l’avais pas vu. À une époque où elle n’était pas emmerdée par son genoux et occupée par sa mère, elle venait sur Paris pour boire une bière, dans un bar ou dans mon salon.
« Bon, tu descends du RER et tu vas tout droit, encore tout droit, tu passes le rond point, tu tournes à droite, puis t’y es. On est à 5 minutes de la gare. » En banlieue ça veut dire quinze bonnes minutes de marche en côte dans un centre ville plus ou moins animé. Il ne pleut que légèrement, et la température est supportable avec quelques épaisseurs de vêtement.
Ça doit faire sept ans ? C’est une de ces sages-femmes que j’ai rencontré grâce à internet. Ça faisait rire mes parents, quand je disais que je me faisais des amis depuis derrière mon écran d’ordinateur, mais, une décennie et demi plus tard, je pense que j’ai plutôt rencontré des gens bien.
Elle m’ouvre en repoussant les animaux du pied. « J’espère que tu n’as pas de problèmes avec les chiens, j’en ai une de plus en pension. » Sa maison est celle que vous pourriez presque imaginer pour une sage-femme à la retraite : une demi maison de sorcière, avec un étage à chat et un rez-de-chaussé à chiens, un potager et des plantes partout. Les chiennes se jettent sur moi. « Elle, c’est un berger australien, ils sont complètement cons. Elle veut juste manger. »
La chienne se dresse sur son derrière, me regarde avec la gueule ouverte, la langue pendante et un air idiot qui me fait rire aux éclats.
Elle reviendra toutes les cinq minutes pour quémander un bout à manger.
Je me cale dans une chaise devant la table à manger. On boit un thé avec un bout de panettone. Et on parle.
Les sages-femmes causent énormément, comme si elles n’avaient jamais l’occasion de se croiser.
C’est d’ailleurs devenu une règle dans mes cercles d’amis : ne pas mettre plus de deux sages-femmes dans une pièce et essayer de les séparer, sinon elles vont se mettre dans un coin et discuter de sujet qui feront peur aux oreilles qui traîneraient par là. Surtout si ces oreilles ont un utérus. Ou pire, un pénis.
On a parlé de vieux souvenir. De son dernier poste avant la retraite, des femmes précaires dont elle s’est tant occupé et qui dorment dans la rue, de l’hôpital qui déconne. On a râlé comme il se doit sur le gouvernement. Le contraire eut été étonnant.
On a parlé de moi, de mon activité libérale. Et de Twitter où elle garde une foule de contacts. On s’est demandé si les gens n’étaient pas un peu fous, ou juste un peu entre-eux.
On a parlé de Terry Pratchett. « Tu en es où ? » m’a-t-elle demandé.
Depuis 2015 je me remets à ma lecture de l’intégrale du disque monde. Ça me prend, parfois. « Je finis incessamment sous peu le Père Porcher. » « C’est de saison. Il faut que tu lises la science du disque monde, ça te changera un peu. »
Puis on a parlé de jeu de rôle, de ses parties en cours, de nos personnages.
Je ne joue plus depuis trop longtemps, faute de table, mais ça m’a redonné l’envie.
« Bon. On se revoit vite, hein ? J’aimerais organiser un truc avec les autres… »
Je lui fait un câlin et je la remercie pour le thé, la conversation, ses conseils précieux.
Il faut aller visiter les sages-femmes à la retraite.
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