Le bus est passé devant moi.
Ça s’est joué à une minute.
Le rythme de mes pas, la vitesse des portes de l’ascenseur, la fatigue ce matin au réveil ont joué dans l’équation, c’est sûr. Je me serre avec les autres sous l’abribus pour éviter que la pluie ne me trempe. Il fait nuit et froid.
J’hésite un moment à annuler cette journée. J’ai ma chérie encore chaude de sa nuit qui dort dans un lit moelleux, sous une couette qui m’a paru incroyablement lourde en me levant.
J’en ai pour dix minutes d’attente. J’ouvre mon agenda.
Je mets déjà un visage sur les patientes que je connais. Je sais déjà ce qui amène certaines d’entres-elles. Il y a aussi ce rendez-vous de gynécologie à la dernière minute, un lundi en milieu d’après-midi. Ça sent légèrement l’urgence, quand-même.
Il y a maintenant ce qui me semble être des années, j’avais parlé de la relève de garde. J’en ai parlé hier également. Ça a été pendant des années la force qui me mettait hors du lit le matin, parfois à supporter des trains de banlieue ou un début de virose.
Maintenant que je suis devenue libérale, j’ai cette impression nette de qui sont les patientes qui m’attendent dans ma journée. C’est marrant parce qu’il y a quelques semaines une cadre d’HAD m’a appelé parce qu’elle avait besoin de récupérer une copie de dossier.
« Oui, je vois tout à fait » j’ai répondu. Elle a marqué une pause et a éclaté de rire.
« C’est marrant, toutes les sages-femmes libérales que j’ai appelé m’ont dit ça. Vous avez une de ces mémoires, c’est fou. »
Je suis presque incapable de reconnaître une patiente dans la rue, et ça aide au secret médical, mais, quand j’ouvre mon planning, je vois le visage des patientes que je connais déjà, et je sais qu’elles ont besoin de moi.
Et donc j’attends mon bus.