« Je crois que j’ai pris du poids. » Elle me met ça sur la table, entre deux phrases de début de consultation. Au vu de ses nausées de début de grossesse, ma première réponse est « c’est génial ! »
Elle mange à nouveau, elle a retrouvé une vie sexuelle et sociale… Ça va mieux quoi. Sauf qu’elle ne sourit pas vraiment, là, tout de suite. « Ma mère me dit que je prends trop de poids. Mes collègues me disent de faire attention au self. »
« Bon. Faut qu’on parle » et, une fois les explications données, dans ce cas là, je propose aux mères, belles-mères et collègues si intentionnées, mais néanmoins non enceintes, de regarder leurs assiettes.
Bon en vrai je leur dis d’aller se faire cuire le cul, mais est-ce que ça fait professionnel de dire ça en consultation ?
Je crois que la France a un problème avec cette histoire.
Mes cours d’obstétrique disaient grosso-modo qu’une femme enceinte prenait entre 8 et 12 kilos en tout. Les sites grand-public (oui, je te regarde, doctissimo) disent 5 kilos en début de grossesse, puis 1,5 à 2 kilos par mois, arrivant déjà un peu plus vers 12 kilos.
Mais est-ce que c’est la réalité ? Est-ce que c’est même possible à Paris ?
Parce qu’il faut savoir un truc sur mes patientes parisiennes. Elle sont généralement assez minces, même sans le fameux régime alimentaire qui nous fait connaître dans le monde entier (le fameux café-clope-salade).
Et dès qu’on va chercher des informations à l’étranger (chez les anglais de la NHS ou les américains du CDC, par exemple) on se rend compte que 12 kilos, c’est pour mes patientes les plus minces un objectif minimum. Et que 8 kilos, c’est ce qu’on attend plutôt d’une femme en surpoids déjà important. Comme minimum aussi.
Le CDC va même jusqu’à indiquer des objectifs de poids différents en fonction des tranches d’IMC.
Bref.
En ce moment je revois une patiente qui a accouché cette année pour sa rééducation.
Elle était venu papoter un peu. Des histoires d’arrêt de travail, de fatigue et de stress. Et de discuter en marge de sa préparation à la naissance.
Sa sage-femme de consultation à l’hôpital lui mettait une pression de dingue sur sa prise de poids. Rendez-vous compte qu’à 7 mois, elle commençait à dépasser les 9 kilos supplémentaires. L’imprudente. Elle qui avait gagné principalement un bonnet de soutien gorge, du ventre et un peu de poignets d’amour.
Et qui voyait cette sage-femme presque toutes les deux semaines parce que son bébé était plutôt sur la partie basse des courbes de croissance.
Elle avait peur d’y aller. Elle pleurait souvent en sortant.
J’ai alors fait le truc le moins confraternel de 2019. J’ai sorti une bouteille d’eau de mon placard, et je lui ai tendu. « J’ai déjà ma gourde, m’a-t-elle dit.
− Non mais c’est pour votre sage-femme. La prochaine fois que vous la voyez, donnez-lui ça de ma part. Pour qu’elle boive un coup. »
Ça l’a fait rire. On en rigole encore.
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