Le soir tombe déjà, au milieu de l’après-midi ; je déteste le mois de décembre.
Je viens de raccrocher d’avec ma dernière patiente, qu’il faudra que j’aille voir demain. Elle va peut-être me prendre mon dimanche matin, ma seule journée de repos. La bonne nouvelle, c’est que mon samedi est fini. La mauvaise c’est que c’est toujours la grève, et que je ne sais pas vraiment comment rentrer chez moi.
C’est un peu bête une sage-femme, non ? On se lève un peu plus tôt pour aller travailler quand même, parce qu’on a des patientes qui comptent sur nous, parce qu’on veut manger le mois prochain, parce qu’on a la caisse de retraite à payer encore un peu. J’aimerais la payer plus longtemps, ma CARCDSF. Plus sérieusement, j’ai aussi conscience de l’enjeux de cette grève pour les femmes avec lesquelles je travaille. Elles sont souvent plus précaires, parfois déjà coincées dans des relations conjugales qui frôlent l’abus, et elles seront sans doute les grandes perdantes de cette réforme des retraites. Si on leur retire des portes de sortie… Bref, on commence notre journée parce qu’on y croit encore.
Et puis une fois fini, une fois des microcosmes sauvés, on doit penser à rentrer chez nous.
J’ai recommencé à faire du vélo dans Paris, je suis monté sur ces énervantes trottinettes électriques que je m’étais juré de ne jamais toucher. Je pense qu’avec la marche j’ai même maigri.
Même si mon corps est heureux de ce regain d’exercice physique, je pars plus tôt de chez moi, je rentre beaucoup plus tard. Clairement, je suis beaucoup plus fatigué par mon rythme de travail que d’habitude.
Donc, devant la station de Velib’ qui ne me proposait que des vélos défectueux dans une circulation infernale, j’ai eu envie de me m’asseoir et de pleurer un coup. La pensée de mon seul jour de repos entre deux semaines chargées s’envolant vers d’autres territoires, me glissant entre les doigts, m’a bousillé le moral.
J’ai donc commencé à marcher pour m’occuper, prétendu que la larme qui coulait était liée au froid. J’ai appelé la patiente, que je ne connaissais pas, pour lui dire que j’étais désolé, mais que pour des raisons personnelles je n’était pas en mesure de la prendre en charge comme prévu, et j’ai transmis à des collègues qui iront peut-être la voir si elles trouvent un moment dans leurs plannings.
Et j’ai alors croisé une de mes meilleures amies qui allait à un concert.
Là, au milieu de la rue, parce que Paris est un village.
J’ai fait coucou, j’ai raccroché mon téléphone.
« Toi, tu as besoin d’un câlin. » Et elle m’a juste pris dans ses bras. Une minute, au milieu des piétons pressés et des klaxons hurlant.
Je me suis senti beaucoup mieux.
Elle allait dans la même direction que moi, alors on a fait un bout de chemin ensemble, à parler de nos projets de nouvel an,.
Et à râler sur les gens qui s’énervaient vraiment trop facilement dans les rues de Paris en ce moment. Est-ce que c’était un si mauvais samedi ?
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