Cet article est paru pour la première fois en 2013 sur mon blog d’avant.
Il y a deux ou trois jours, j’y ai repensé, je ne sais pas vraiment pourquoi.
Ce n’est plus la version d’origine, mais j’ai essayé d’en garder l’essentiel.
Il était là, accroupi dans le couloir, entre la salle de naissance et la crèche.
À sa droite, il y avait sa femme qui saignait trop ; sa sage-femme et sa gynéco qui essayaient de la rattraper. « Suivez votre bébé monsieur, on viendra vous chercher. »
À sa gauche, il y avait son fils nouveau-né qui ne criait pas ; le pédiatre et l’autre sage-femme de garde tentaient de le faire respirer. « Retournez avec votre femme, elle a besoin d’être rassurée. »
Moi, je sortais de garde.
Il était 22h, et les sages-femmes vous diront volontiers que sortir à cette heure-là en dit suffisamment long sur le déroulement de la garde.
Merdique.
J’étais en civil, donc. J’avais fini.
Je me suis assis à côté de lui. Les collègues couraient autour de nous.
Moi, je n’avais plus la force de soigner les gens, et je risquais de faire des conneries avec la fatigue.
J’avais pour seule envie de bouffer un plateau de sushi avec une bière, de prendre un bain chaud et d’oublier.
Je ne me souviens pas trop de ce qu’il faisait dans la vie, cet homme. Un truc physique, en tout cas, genre dans le bâtiment. Je les avais accueilli aux urgences au milieu de l’après-midi. Il était resté droit, passant d’un pied sur l’autre, vaguement mal à l’aise. Il m’avait regardé, et j’avais senti, comme souvent, un mélange de panique et de fierté, une pointe de soulagement de voir un autre mec dans un univers très féminin, et aussi un peu d’appréhension, parce que les mecs, justement, il s’en méfiait un peu.
Il était là, dans le couloir, seul.
Je lui ai apporté un café et des essuies-mains pour cacher ses larmes.
Puis on a parlé un peu, pour l’occuper.
J’ai déjà vécu ces situations.
Plein de monde pour la mère et pour l’enfant et un mec choqué, comme un civil au milieu du champs de bataille, qui se sent réduit à une totale impuissance.
À droite il y a une fille qui masse en pensant « Bordel, arrête de saigner » et à gauche il y en a une qui masse en pensant « Bordel, respire, aller ! »
Il a juste l’impression de ne servir à rien.
Il y a des cris, plein de tuyaux, des sachets qu’on déchire, des bips ; des soupirs de soulagement parce que ça finit bien.
J’ai toujours une pensée pour les partenaires parce qu’ils se mettent la pression pour assurer, comme ceux qui tiennent jusqu’à la pose de péridurale (une demi journée à jeun à faire des massages), puis qui s’effondrent par terre. J’ai eu des mecs renfermés qui fondait en larme de joie, et d’autres qui regardait la vie avec une pointe de fierté et d’orgueil. J’ai vu de tout, parce que tous les hommes ont une façon différente de vivre une naissance.
J’ai souvent eu l’impression, qu’ils veulent être des rocs. Ils oublient de manger, de boire, de dormir, d’aller aux toilettes. Parfois j’ai dû les forcer à sortir grignoter un truc et fumer leur clope.
Est-ce que c’est de l’esprit viril, ou est-ce de la peur ? Ou un mélange des deux ?
J’ai en tout cas fait une place pour eux dans ma préparation à la naissance.
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