Sur la chaise devant mon bureau elle se tortille. « Il faut le faire, alors je viens pour faire mon frottis. Je viens d’avoir 25 ans. » Elle grimace.
J’ai à peine ouvert la bouche pour lui dire bienvenu
J’ai à peine ouvert mon logiciel professionnel.
C’est une bonne façon de commencer un mardi matin.
« On va commencer par discuter, non ? On se connaît même pas. »
On prend le temps de voir ses quelques antécédents, et sa langue se délie. Elle retire son manteau ; on parle de contraception, on parle de sa famille, de ses études médicales. Elle décroise les bras.
Elle sait beaucoup de choses, elle rebondit d’un sujet à l’autre avec aisance. Elle commence même à faire des blagues, à entrer dans le rythme de la consultation. On évoque quelques sujets qui nécessiteront une échographie pelvienne, je la préviens qu’elle sera sans doute en endovaginale.
Elle s’arrête. On est arrivé à ce moment. Au bout des questions.
Elle regarde la table d’examen, le drap tendu et lisse. Elle est tendue, à nouveau. « Vous avez une chaise derrière le paravent pour mettre vos affaires. Je vous laisse vous installer ? Prenez votre temps ! J’écris quelques petits trucs dans le dossier. »
Je lui laisse le temps, seule, de s’approprier les lieux Se déshabiller relève tellement de l’intime qu’un paravent a fait parti de mes premières acquisitions.
« C’est bon. Ça va faire mal, non ?
− Je ne sais pas vraiment. Mais le spéculum n’a pas l’air d’être le moment le plus cool d’une journée. »
Elle rit. Je prépare mon matériel et je mets des gants.
« Vous y allez doucement, hein ?
− Vous voulez le faire vous-même ? » J’ai piqué cette idée, bien sûr.
Il a fallut du temps pour que j’accepte cette idée moi aussi. Laisser les patientes faire, cela va à contre-courant de toute mon éducation médicale. Toutes les patientes ne sautent pas encore le pas, mais ça transmet l’idée.
« Je ne pensais pas que c’était possible. » Je lui donne le spéculum. On essaye de l’expliquer, de le toucher. Et on y ajoute une noisette de lubrifiant. « Mais je risque pas de me faire mal ?
− Je pense que vous êtes plus habituée à mettre des choses dans votre vagin que moi, non ?
− C’est pas faux ! »
Et une minute plus tard le frottis est fait, elle se rhabille avec le sourire.
Deux semaines plus tard je reçois un sms, pour me remercier, parce qu’après notre séance elle a proposé à un échographiste, sans doute un peu désarmé, d’insérer la sonde elle-même. Elle s’est sentie en contrôle.
Photo by Denys Nevozhai on Unsplash