Dès la préparation à la naissance, j’avais perçu quelque chose de léger, et j’avais essayé de… Préparer le terrain. Il y a des patientes comme ça, chez qui on sent un problème, sans pouvoir mettre de mots dessus.
Cette grossesse, déjà, c’était une sorte de surprise, et elle l’accueillait avec une moitié de bonheur transie − « la plus belle surprise du monde » − et une profonde angoisse.
Son corps changeait.
« Je vais récupérer n’est-ce pas ? J’ai toujours été très tonique, j’espère que ça ira. »
Qu’est-ce que l’on peut répondre à cette question ? Elle est piégeuse.
J’ai répondu la vérité : ça prend du temps, et on ne récupère pas le même corps qu’avant.
On récupère un corps qui y ressemble, avec d’autres qualités et d’autres défauts. On récupère des cicatrices intimes, des blessures de guerres (voir à ce propos, d’ailleurs, le travail de Jade Baell, A beautifull body project) ; c’est une autre vie, une continuité.
C’est dur à avaler.
C’est même un tabou.
Dire cela à une patiente, essayer de la rassurer, une semaine après son accouchement, sur sa vessie traîtresse, sur ce ventre qui ne veut pas rentrer dans le rang, sur les jeans qu’elle ne mettra plus, dire cela fait pleurer des femmes.
Je suis sage-femme, et je me rends compte que les femmes pleurent facilement avec moi. Je pense que ça veut dire que je fais mon boulot.
« On travaillera ».
C’est tout ce que je peux dire.
Comme un tatouage, certaines marques ne partiront pas ; elles disent « quelque chose s’est produit dans ce ventre ». D’autres se récupèrent, s’adaptent, se travaillent. La vérité n’est pas simple à entendre.
La vérité, c’est qu’il faut souvent du temps.
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