Cette question est obligatoire dans le formulaire social. C’est une de mes questions d’anamnèse, aussi, mais je n’ai pas vraiment envie de la poser, parce que je me doute déjà de la réponse.
« Est-ce que dans votre vie, vous avez été victime de violence, qu’elle soit physique, ou sexuelle ?
− Pas ici, ça va. Les gens sont gentils. »
On est dans sa chambre, dans un centre d’hébergement d’urgence où elle est finalement arrivée avec son bébé, après avoir connu un parcours migratoire, la rue, les hôtels, puis une grossesse difficile, parfois les halls d’hôpitaux.
Je ne la connais pas encore assez pour poser des questions sur le géniteur. Ça aussi, ça promet d’être un sujet épineux.
Pour l’instant on fait connaissance.
Je remplis l’évaluation sociale − catastrophique, hein − pour appeler ma collègue et voir ce qu’on peut faire.
« Mais, avant d’arriver, est-ce qu’il vous est arrivé quelque chose ? »
Elle se ferme un peu.
« On peut ne pas en parler, si vous ne voulez pas…
− Vous savez, je suis passée en Libye. Je suis partie parce que je vivais chez ma belle-famille, mais je ne supportais plus… »
Je sais…
J’ai lu des articles…
J’ai des patientes qui m’ont raconté leur vie d’avant, leur « parcours migratoire », cet euphémisme administratif pour évoquer des jours de marche, le système D, le ventre vide, les gens qui essayent de survivre…
Elle n’en parlera pas beaucoup plus aujourd’hui. L’important c’est ce bébé qui s’agite sur le lit et la cicatrice de césarienne qui barre son bas ventre.
L’important c’est aussi de l’aider à atterrir, et de l’aider à préparer la suite.
J’active mes ressources.
Mon Hospitalisation à Domicile a une assistante sociale, le centre d’hébergement a des éducateurs.
Je suis bien content de ne pas être tout seul.
courage . je vois les mêmes .
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