La chute – 17

Elle est arrivée au milieu de la nuit, alors que je somnolais sur le canapé de l’office. 
Dans cette maternité, dans une contrée lointaine, j’étais seul avec une auxiliaire, et, quand la nuit était calme, je me mettais sur le canapé de l’office, elle sur un transat, et on parlait jusqu’à somnoler. 

Le téléphone a sonné − l’accueil nous prévenait de l’arrivée d’une patiente − puis j’ai juste entendu un long chant grave au fond du couloir. Elle est resté peu de temps dans le box des urgences, moins de 5 minutes. C’était son troisième, elle s’appuyait sur son conjoint de toutes ses forces quand une contraction venait lui enlever son sourire. 
Tout était parfait, j’ai envoyé l’auxiliaire en éclaireuse, et on l’a soutenu avec son chéri pour marcher.
J’ai plaisanté sur le chemin. « N’accouchez pas dans le couloir, voyons, on va essayer de vous trouver un endroit plus sympa. Vous n’imaginez même pas le ménage pour nous après. » 
Tant qu’elle riait, je savais que je pouvais avancer sereinement. On a fait un pas après l’autre jusqu’à la salle de naissance. 

Il y avait là une chaise d’accouchement que je mourrais d’envie d’essayer depuis le premier jour. Je me suis dis que c’était l’occasion… Mais elle n’avait pas envie. Elle s’est mise sur le lit à quatre-pattes et elle s’est soulagée en poussant. 

Une membrane nacrée est apparue. Bombée, pleine. 
J’avais prévu de quoi recevoir le liquide et j’ai fait un pas sur le côté. La tête est arrivée derrière, puis doucement les épaules. 
L’enfant fit une lente chute sur la table. Il dormait dans sa poche, imperturbable. Ses parents l’ont regardé un petit moment. Je n’osais pas perturber le beau dormeur. 

Puis, des deux mains, elle a déchiré la poche et a récupéré son bébé. 

Photo by Sarah Ball on Unsplash