Ça a fait click dans ma tête, à cause de Twitter. Je voulais en parler avant, depuis longtemps, sans jamais trouver les mots. Comme si ces derniers jours de lectures m’avaient permis de franchir une étape manquante de ma réflexion.
Ça ne va peut-être pas vous plaire par contre. Ni aux uns, ni aux autres.
Tant pis, j’y vais quand même, juste parce que c’est bientôt Noël, et qu’à Noël on dit la vérité.
Au cours de mes cinq années d’études, une à ingurgiter et à recracher de la culture médicale de base, et quatre à utiliser cet embryon de culture pour essayer de devenir un professionnel compétent ; au cours de mes cinq années d’études je n’ai jamais eu de cours qui ne s’appuyait pas un minimum sur des sources sérieuses et scientifiques.
À part la psychologie.
Et l’économie de la santé.
Contrairement à ce qui pourrait vous faire fantasmer, nul cours d’acupuncture, d’homéopathie, pas de trémolos sur les fleurs de Bach ou l’aromathérapie, et beaucoup de prudence sur l’usage de certaines tisanes parce que « on n’a pas d’études sur le sujet, ça pourrait être dangereux, il vaut mieux utiliser ce qui est connu et étudié ».
Et, malgré les petits-déjeuners offerts par les fabricants de bas de contention, je crois que je suis devenu un sage-femme correct et frustré comme beaucoup de mes consœurs.
Expliquer, c’est déjà
vouloir excuser.
Nicolas Sarkozy
Manuel Valls
Il y a quelques années j’avais lu un pamphlet intitulé Sorcières, Sages-Femmes et Infirmières : une histoire des femmes et de la médecine, écrit par deux militantes, Barbara Ehrenreich et Deirdre English. Ces deux femmes ont notamment travaillé pour ce livre avec leur milieu de l’époque − les women’s lib, on était au début des années 70, et plus précisément le mouvement self help.
On reparlera du self help, je vous le promet.
Ce que ce livre met en évidence, en gros − lisez-le, il fait 121 pages, c’est la confiscation assez régulière au cours de l’histoire du pouvoir médical par les hommes de la classe dominante, laissant les guérisseuses s’occuper des pauvres et des femmes.
Je digresse.
Dans mes cinq années d’études j’ai été frustré comme toutes mes consœurs. On m’a préparé à être soignant. Plus précisément, à identifier les problèmes qui pouvaient se présenter dans une situation clinique, et à proposer des solutions en mobilisant éventuellement les gens qui peuvent aider à cette situation.
Et j’ai eu des dizaines de cours qui ne sont pas des compétences de la sage-femme pour que le professeur ponctue son cours de « le médecin va » ou « le médecin peut », « le traitement − que vous ne pouvez pas prescrire ». Ça a commencé en gynécologie, ça a continué dans toutes les matières de la médecine moderne. C’est de la culture médicale, d’accord.
On apprend à ronger son frein, et à dire qu’on peut faire autre chose.
Qu’on va privilégier l’accompagnement, travailler en réseau, faire des courriers, faire son travail… À l’hôpital, on nous dit clairement que le décret de compétence des sages-femmes est insuffisant pour travailler. On fait plus. Parce qu’on sait faire, parce qu’on a appris à le faire.
Parce que ça permet de soigner les gens et que c’est la priorité.
Quand on arrive en libéral, on se retrouve face à la CPAM, et elle nous dit que nos compétences sont très exactement nos compétences. On s’adapte à cette nouvelle réalité.
Non, je plaisante.
On est un peu frustré, et chacun réagit différemment. Certaines ont un médecin généraliste en face qui reçoit leurs patientes pour traiter une vaginose si on les appelle gentiment avant. D’autres trichent un peu avec les mots.
D’autres croient.
Il existerait peut-être un système parallèle que la médecine conventionnelle rejette. Vu que c’est elle qui me frustre à cause de gue-guerre médecins/sages-femmes depuis trois siècles, c’est peut-être pas mal comme truc.
Ça repose sur la mémoire de l’eau.
Ça repose sur des énergies.
C’est un héritage ancestrale chinois, ou chez mes patientes.
C’est des fleurs macérées, des cristaux de pouvoir.
C’est sérieux mon truc, c’est de la biomécanique, on touche juste des os par-ci, par-là.
En tout cas la formation existe, et elle est prise en charge dans le Développement Professionnel Continu.
C’est que c’est sérieux, non ?
Okay, ils y a des soignants qui se sont mobilisés contre, en disant que ce sont des pratiques problématiques, des fakemed mais ça peut aider mes patientes.
J’aimerais tellement les aider, mes patientes, mais je n’ai pas beaucoup d’armes, alors je fais avec ce que j’ai.
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Addendum : On m’a fait remarquer que cet article pouvait manquer de clarté, alors je tiens à préciser. Je ne crois pas. Pas dans ce sens là.
Mais j’essaye de comprendre pourquoi certains de mes collègues, elles, malgré tout, croient. C’est un exercice délicat de marcher quelques kilomètres dans les chaussures des autres.
Une réflexion sur “Frustration – 9”