7 ans de blog, ce n’est pas une expérience aisée à retranscrire en un article. Il s’agit avant tout des 7 dernières années de ma vie, de la fin de mes études ; plus généralement de ce qu’a été la grande période des blogs.
Il y a 7 ans, lorsque j’ai commencé ce blog, j’avais besoin de changer de peau. Je crois que je devenais sage-femme, pour ce que cela peut bien vouloir dire, et que j’étais à l’étroit dans la coquille que j’avais créé.
Je me suis rendu compte à cette époque que des gens lisaient vraiment ce que j’écrivais sur internet. Certes, quand on publie des articles sur un blog, on pourrait s’attendre à ce que quelqu’un finisse par les lire. J’étais un peu jeune, et un peu con, et je ne comprenais absolument pas ce que je faisais. Mon contenu était discutable. Le fait d’écrire m’a permis de grandir comme professionnel, mais le faire dans mon coin n’aurait servit à rien : ce qui m’a vraiment apporté quelque chose, ce sont les gens.
En 2011, quand j’ai ouvert cet ancien blog, internet était en train de changer. J’avais l’habitude de petites communautés, de gens qui se retrouvaient le soir pour discuter sur des forums ou des canaux IRC. Depuis un an ou deux, avec l’arrivée des smartphones, les réseaux sociaux montaient en puissance. Tout le monde s’est mis à utiliser Facebook. Tout le monde faisait des blagues sur le fait que tout le monde utilisait Facebook.
Quelques personnes utilisaient Twitter.
Twitter ressemblait déjà plus à une petite communauté : on rencontrait des gens, on discutait de nos centres d’intérêts. Très vite ce blog a été un endroit pour écrire ce qui ne tenait pas en 140 caractères ; un espace de développement pour créer une discussion. Il est vite devenu une sorte d’extension de quelque chose de plus gros qu’une poignée de pages hébergées par un copain. Une partie de la personne que je devenais.
Dans ce même temps j’avais obtenu mon diplôme. Je n’ai pas trop envie de retrouver ce que j’avais écrit là-dessus à l’époque. J’avais renoncé à des parties de ma vie qui me semblaient essentielles pour me raccrocher à quelque chose de plus personnel : ma chérie, mes études, mon mémoire. Tout d’un coup des choses pour lesquels je m’étais agité pendant trois ou quatre ans ont commencé à devenir dissonantes. Avec le recul, je ne pense que mon milieu était juste toxique. Je le supportais juste moins. Cette dernière année m’avait poussé dans mes limites : je dormais trop peu, je travaillais trop, je me sentais toujours plus mal et nul au fur et à mesure que l’année progressait, et, les autres, eux, avaient l’air totalement épanouis. Mes camarades mentaient, un tiers de ma promo prenait du Xanax pour dormir et aller en garde sans faire de crise d’angoisse.
On a fini par l’avoir, ce diplôme.
Puis j’ai commencé à travailler.
Mon vieux blog porte les marques maladroites de cette première rencontre avec le monde professionnel.
L’hôpital est un endroit assez hostile, pour les patients et les soignants. Notre première rencontre fut brutale, et j’avais peu de gens à qui en parler. Personne ne vous prépare à ça : il y a les collègues à gérer, les egos à contenter, la charge administrative ; et des patientes pour qui on essaye de travailler en surnageant. On a l’impression d’être une erreur de casting, un incompétent sur qui les collègues râlent. Les cadres trouvent qu’on est trop peu interventionniste, pas assez « pathos ». À force de coups, on appends à survivre.
Mon blog m’a aidé à raconter mes histoires marquantes et à recueillir d’autres points de vu. Les gens qui me lisaient et qui commentaient mes histoires m’ont aidé à avancer à chaque coups durs, à me rassurer. J’ai pour moi cette incongruité d’être un homme sage-femme, et les gens me l’ont rappelé, me rapprochant toujours de mes rares confrères. Je le supporte.
En sept ans j’ai beaucoup évolué sur le plan personnel et sur le plan professionnel. Des thématiques féministes sur lesquels je tâtonnais sont devenus des préoccupations de premier plan ; des sujets que j’ai commencé à esquisser il y a plusieurs années, comme les violences contre les patientes en obstétrique, ont été pris en main par les usagères et certain·e·s professionnel·le·s et je m’en réjouis.
Internet aussi a changé.
Plus personne ne lit de blogs ou ne va sur des forums. Ils sont toujours là, hein, plus ou moins vivants si on gratte sous la surface des réseaux sociaux. Peu à peu notre petit entre-nous bienveillant de soignants blogueurs s’est éteint, et les rencontres sont devenus plus rares. Il y a bien quelques étincelles qui restent, mais les histoires et les récits des autres me manquent.
J’aimais cette communauté. J’ai appris plus de choses sur l’organisation du soin en France que dans n’importe quel cours de santé publique. Les profils étaient divers et hétérogènes, l’ambiance était bon enfant. J’ai eu surtout l’impression d’avoir trouvé un endroit où me poser en pleine tempête, des gens que j’admire qui me touchaient l’épaule en me disant qu’ils avaient adoré certains mes textes et comme tel autre les avaient fait réfléchir… Et je leur disait la même chose.
Si je devais refaire une compilation de blogs encore actifs de nos jours, je serais bien en peine. J’ai l’impression que le mal de la page blanche a été un effet de masse, peut-être parce que les gens n’ont plus rien à dire, ou parce qu’ils avaient une liste d’histoires à raconter. Twitter n’est plus un endroit si bon enfant. Beaucoup d’utilisateurs sont arrivés sans intégrer les codes qui régissaient l’internet des débuts, et je me demande si leurs propos n’est pas à l’origine d’une certaine autocensure par mes camarades.
J’ai continué à écrire, par vague d’inspirations. J’ai essayé un peu de fiction, j’ai tenté des trucs. Je pense que je n’avais plus de projet, si ce n’est continuer à écrire. Ce que je vais faire.
À demain ?
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Une réflexion sur “7 ans”